mardi 27 janvier 2009

Accords sur les flux migratoires : Mais pourquoi donc le Burkina a-t-il signé ?

Droit dans les yeux.

Accords sur les flux migratoires :

Mais pourquoi donc le Burkina a-t-il signé ?



Nous venons tous d’apprendre la visite surprise de Mr Hortefeux à Ouagadougou pour faire signer au gouvernement du Burkina un « accord » pour la régulation des flux migratoires dont tout le monde sait que le Burkina n’était pas demandeur. S’il y a sept (7) chapitres dans cet accord, il y en a deux qui tiennent particulièrement à cœur Sarkozy et son exécutant Hortefeux : L’un concerne la « coopération policière », qui doit tout faire pour empêcher les gens de sortir du Burkina vers la France; l’autre concerne la réadmission des personnes en situation irrégulière en France : elle consacre le droit pour la France d’expulser les sans papiers, menottés et scotchés comme de vulgaires délinquants, comme en ont été témoins tant de voyageurs sur les vols d’Air France. Bien sûr, tout cela assorti d’ « une petite enveloppe » qui s’étale sur les cinq autres chapitres tout à fait secondaires. (ça n’a rien à voir avec ce que la France a investi pour sauver ses banques).


Pourquoi donc cette décision soudaine sans aucune consultation publique d’aucune sorte ; à ma connaissance, pas même les députés n’ont été consultés… ils pourront bien poser des questions après ! Pas de débat public non plus sur ces questions douloureuses de l’émigration des Burkinabè vers l’Europe : on en connaît déjà qui sont morts dans le désert, qui sont morts noyés, ou qui se retrouvent en attente de départ au Sénégal, en Algérie ou en Libye (mais là bas, c’est plus chaud !) Ainsi donc, sur les choses essentielles qui concernent les peuples, les peuples n’ont toujours pas droit à la parole. A moins que cet accord n’ait été imposé ?


« immigration choisie »


Ce que j’arrive mal à comprendre, c’est qu’à travers cet accord, le Burkina cautionne et approuve la politique française de l’immigration qui se résume à deux volets essentiels :

Le premier volet, c’est la chasse aux sans papiers pour laquelle la police doit faire du chiffre (en attraper au moins 25.000 par an), y compris arrestation de parents à la sortie des écoles ou dans les préfectures où ils venaient pour une régularisation : il suffit d’écouter les cas défendus par RESF (Réseau éducation sans frontières) pour comprendre le cynisme et le mépris d’une telle politique. Et Hortefeux, ministre de la rafle, y a excellé. Tout cela n’est d’ailleurs pas une politique réfléchie : c’est un argument électoral à court terme pour récupérer les voix de l’extrême droite, et ça marche. Mais cela coûte très cher à la France et la presse évite d’en parler : une expulsion coûte environ 20.000 euros (13.000.000 Fcfa ) Un retour volontaire ne se voit offrir que 2 ou 3.000 euros : cherchez l’erreur !


Le deuxième volet (dit « immigration choisie ») est d’attirer en France les gens formés et compétents : c’est la traite des cerveaux. Comment le Burkina peut il approuver une telle politique ? Il est vrai que les dirigeants qui signent ne sont pas concernés, ni leurs enfants : Eux voyagent comme ils veulent… (Quoique, semble-t-il, ils n’aient même pas réussi à obtenir un petit amendement pour les passeports diplomatiques et de service !)


En quoi cette signature va-t-elle améliorer les conditions d’entrée et de séjour des Burkinabè en France ? Les files disparaîtront-elles devant le guichet visa du consulat de France ? Vous seriez bien naïfs de le croire ! « On signe n’importe quoi » me disait un jour un haut fonctionnaire « pourvu que ça rapporte ». Joyandet, le ministre de la Françafique ne dit pas autre chose : « la coopération, oui, si ça nous rapporte ».


Le drame de la signature de cet accord, c’est aussi que le Burkina s’est profondément désolidarisé du Mali. Tous savent que le Mali a refusé, en accord avec sa société civile, de signer de pareils accords si peu réciproques et si humiliants. Ce que les émigrés maliens (réguliers ou sans papiers) envoient au pays est largement supérieur à l’aide de la France. « Une petite enveloppe » ne peut pas arranger les choses comme au Burkina. Même si le problème est plus aigu là bas et moins chez nous, pourquoi ne pas avoir fait preuve de plus de solidarité devant une question si épineuse où les droits de l’Homme le disputent aux raisons économiques. Une réaction si individualiste du Burkina (qui préside pourtant aux destinées régionales) est incompréhensible et augure mal de politiques communes pour l’Afrique de l’Ouest !


Et tout cela ne facilite pas non plus le travail des militants français qui défendent sur le terrain la cause des immigrés et contestent les lois injustes récemment promulguées. Si leurs dirigeants au pays abandonnent leurs ressortissants, que peuvent encore faire les militants pour eux? Déjà que Sarkozy criminalise toute forme de solidarité avec les migrants sans papiers – comme s’ils n’étaient plus des hommes, mais des criminels. Déjà qu’à cause de la crise, les populations les plus pauvres voient en eux des concurrents pour le travail. Déjà qu’ils sont mal perçus par la frange lepéniste et raciste de la société française. Déjà que le repli communautariste tente la société française… Il ne fallait pas ajouter cette signature qui va encore leur compliquer la situation !


ils veulent assigner les pauvres à résidence

Il est étonnant de voir que la plupart des dirigeants actuels de la planète exigent la libre circulation des capitaux (y compris dans les paradis fiscaux…) On voit où cela nous mène !
Ils exigent la libre circulation des marchandises au risque de broyer les économies naissantes et de favoriser le dumping social contre les peuples au profit des multinationales.
Mais ils refusent absolument la libre circulation des personnes pourtant inscrite depuis 60 ans dans la charte des droits de l’Homme des Nations Unies.


C’est clair, ils veulent assigner les pauvres à résidence (comme les serfs au Moyen Age), les enfermer dans leur pauvreté avec la complicité de leurs dirigeants tout en rackettant la planète à leur seul profit.

Pourtant, et ils le savent, leurs mauvaises réglementations à court terme n’empêcheront pas les hommes et les femmes de ce temps – comme il en a toujours été – de prendre la route pour un destin meilleur pour fuir la misère ou la guerre, ou simplement de « partir pour vivre ». Puissions nous construire « des ponts, pas des murs ».


Père Jacques LACOUR (BP 332 Koudougou)

jacqueslacourbf@yahoo.fr



Ce texte a été publié dans le journal Le Pays du mardi 27 janvier 2009, rubrique "droit dans les yeux"

Il a également été repris dans l'édition du jour du Fasonet.

et avec des réactions assez fournies!


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