lundi 8 mars 2010

La libération de la femme, Une exigence du futur.

.

Aujourd'hui, journée consacrée aux femmes, je vous offre ce discours de Thomas Sankara: une analyse sans complaisance, un immense espoir était né...


"La libération de la femme : une exigence du futur"
Thomas SANKARA,
le 8 mars 1987


Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais, mes pas ne me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées.

Sans doute, dans l’exploitation, la femme et l’ouvrier sont-ils tenus au silence. Mais dans le système mis en place, la femme de l’ouvrier doit un autre silence à son ouvrier de mari. En d’autres termes, à l’exploitation de classe qui leur est commune, s’ajoutent pour les femmes, des relations singulières avec l’homme, relations d’opposition et d’agression qui prennent prétexte des différences physiques pour s’imposer. L’homme prend donc prétexte la complexité de ces rapports pour semer la confusion au sein des femmes et tirer profit de toutes les astuces de l’exploitation de classe pour maintenir sa domination sur les femmes.

La bêtise masculine s’appelle sexisme ou machisme, toute forme d’indigence intellectuelle et morale, voire d’impuissance physique plus ou moins déclarée qui oblige souvent les femmes politiquement conscientes à considérer comme un devoir la nécessité de lutter sur deux fronts.
Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. Et que penser enfin de tous ces propos dans la bouche des militants plus révolutionnaires, les uns que les autres sur les femmes ? Des propos comme « bassement matérialistes, profiteuses, comédiennes, menteuses cancanières, intrigantes, jalouses etc, etc... » Tout cela est peut-être vrai des femmes mais sûrement aussi vrai pour les hommes !

La prostitution n’est que la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle. Elle symbolise le mépris que l’homme a de la femme. De cette femme qui n’est autre que la figure douloureuse de la mère, de la soeur ou de l’épouse d’autres hommes, donc de chacun de nous. C’est en définitive, le mépris inconscient que nous avons de nous-mêmes. Il n’y a de prostituées que là où existent des « prostitueurs » et des proxénètes.

Entre celle qui vend son corps par la prostitution et celle qui se vend dans le mariage, la seule différence consiste dans le prix et la durée du contrat.
N’est-elle qu’un article qui se valorise ou se dévalorise en fonction du degré de flétrissement de ses charmes ? N’est-elle pas régie par la loi de l’offre et de la demande ? La prostitution est un raccourci tragique et douloureux de toutes les formes de l’esclavage féminin.

Notre société, encore par trop primitivement agraire, patriarcale et polygamique, faite de la femme un objet d’exploitation pour sa force de travail et de consommation, pour sa fonction de reproduction biologique.

Comment la femme vit-elle cette curieuse double identité : celle d’être le noeud vital qui soude tous les membres de la famille, qui garantit par sa présence et son attention l’unité fondamentale et celle d’être marginalisée, ignorée ?
Une condition hybride s’il en est, dont l’ostracisme imposé n’a d’égal que le stoïcisme de la femme.

Femme-source de vie mais femme-objet. Mère mais servile domestique. Femme-nourriciè re mais femme-alibi. Taillable aux champs et corvéable au ménage, cependant figurante sans visage et sans voix. Femme-charniè re, femme-confluent mais femme en chaînes, femme-ombre à l’ombre masculine.
Pilier du bien-être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse, cuisinière, messagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse, vendeuse, ouvrière. Elle est une force de travail à l’outil désuet, cumulant des centaines de milliers d’heures pour des rendements désespérants.
Déjà aux quatre fronts du combat contre la maladie, la faim, le dénuement, la dégénérescence, nos soeurs subissent chaque jour la pression des changements sur lesquels elles n’ont point de prise.

Lorsque chacun de nos 800 000 émigrants mâles s’en va, une femme assume un surcroît de travail. Ainsi, les deux millions de Burkinabé résidant hors du territoire national ont contribué à aggraver le déséquilibre de la sex-ratio qui, aujourd’hui, fait que les femmes constituent 51,7 pour cent de la population totale. De la population résidante potentiellement active, elles sont 52,1 pour cent.
Trop occupée pour accorder l’attention voulue à ses enfants, trop épuisée pour penser à elle-même, la femme continuera de trimer : roue de fortune, roue de friction, roue motrice, roue de secours, grande roue.
Rouées et brimées, les femmes, nos soeurs et nos épouses, paient pour avoir donné la vie. Socialement reléguées au troisième rang, après l’homme et l’enfant, elles paient pour entretenir la vie.

Dominée et transférée d’une tutelle protectrice exploiteuse à une tutelle dominatrice et davantage exploiteuse, première à la tâche et dernière au repos, première au puits et au bois, au feu du foyer mais dernière à étancher ses soifs, autorisée à manger que seulement quand il en reste ; et après l’homme, clé de voûte de la famille, tenant sur ses épaules, dans ses mains et par son ventre cette famille et la société, la femme est payée en retour d’idéologie nataliste oppressive, de tabous et d’interdits alimentaires, de surcroît de travail, de malnutrition, de grossesses dangereuses, de dépersonnalisation et d’innombrables autres maux qui font de la mortalité maternelle une des tares les plus intolérables, les plus indicibles, les plus honteuses de notre société.

Scolarisées deux fois moins que les hommes, analphabètes à 99 pour cent, peu formées aux métiers, discriminées dans l’emploi, limitées aux fonctions subalternes, harcelées et congédiées les premières, les femmes, sous les poids de cent traditions et de mille excuses ont continué de relever les défis successifs. Elles devaient rester actives, coûte que coûte, pour les enfants, pour la famille et pour la société. Au travers de mille nuits sans aurores.

Le capitalisme avait besoin de coton, de karité, de sésame pour ses industries et c’est la femme, ce sont nos mères qui en plus de ce qu’elles faisaient déjà se sont retrouvées chargées d’en réaliser la cueillette. Dans les villes, là où était censée être la civilisation émancipatrice de la femme, celle-ci s’est retrouvée obligée de décorer les salons de bourgeois, de vendre son corps pour vivre ou de servir d’appât commercial dans les productions publicitaires.

Le 2 octobre 1983, le Conseil national de la révolution a clairement énoncé dans son Discours d’orientation politique l’axe principal du combat de libération de la femme. Il s’y est engagé à travailler à la mobilisation, à l’organisation et à l’union de toutes les forces vives de la nation, et de la femme en particulier. Le Discours d’orientation politique précisait à propos de la femme : « Elle sera associée d tous les combats que nous aurons à entreprendre contre les diverses entraves de la société néo-coloniale et pour l’édification d’une société nouvelle. Elle sera associée à tous les niveaux de conception, de décision et d’exécution dans l’organisation de la vie de la nation tout entière ».

Cela indique clairement, camarades militantes, que le combat pour la libération de la femme est avant tout votre combat pour le renforcement de la Révolution démocratique et populaire.

Il vous appartient désormais d’agir en toute responsabilité pour, d’une part, briser toutes les chaînes et entraves qui asservissent la femme dans les sociétés arriérées comme la nôtre, et pour, d’autre part, assumer la part de responsabilité qui est la vôtre dans la politique d’édification de la société nouvelle au profit de l’Afrique et au profit de toute l’humanité.

Aux premières heures de la Révolution démocratique et populaire, nous le disions déjà : « l’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications et de se mobiliser pour les faire aboutir ». Ainsi notre révolution a non seulement précisé l’objectif à atteindre dans la question de la lutte d’émancipation de la femme, mais elle a également indiqué ta voie à suivre, les moyens à mettre en oeuvre et les principaux acteurs de ce combat.

Aujourd’hui encore, et pour beaucoup de nos femmes, s’inscrire sous le couvert d’un homme demeure le quitus le plus sûr contre le qu’en-dira-t-on oppressant. Elles se marient sans amour et sans joie de vivre, au seul profit d’un goujat, d’un falot démarqué de la vie et des luttes du peuple. Bien souvent, des femmes exigent une indépendance sourcilleuse, réclamant en même temps d’être protégées, pire, d’être sous le protectorat colonial d’un mâle. Elles ne croient pas pouvoir vivre autrement.

Non ! il nous faut redire à nos soeurs que le mariage, s’il n’apporte rien à la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable, et doit même être évité. Au contraire, montrons-leur chaque jour les exemples de pionnières hardies et intrépides qui dans leur célibat, avec ou sans enfants, sont épanouies et radieuses pour elles, débordantes de richesses et de disponibilité pour les autres. Elles sont même enviées par les mariées malheureuses pour les sympathies qu’elles soulèvent, le bonheur qu’elles tirent de leur liberté, de leur dignité et de leur serviabilité.

Les femmes ont suffisamment fait la preuve de leurs capacités à entretenir une famille, à élever des enfants, à être en un mot responsables sans l’assujettissement tutélaire d’un homme. La société a suffisamment évolué pour que cesse le bannissement injuste de la femme sans mari. Révolutionnaires, nous devons faire en sorte que le mariage soit un choix valorisant et non pas cette loterie où l’on sait ce que l’on dépense au départ mais rien de ce que l’on va gagner

Cette nouvelle approche multidimensionnelle de la question de la femme découle de notre analyse scientifique, de son origine, de ses causes et de son importance dans le cadre de notre projet d’une société nouvelle, débarrassée de toutes formes d’exploitation et d’oppression.

II ne s’agit point ici d’implorer la condescendance de qui que ce soit en faveur de la femme. II s’agit d’exiger au nom de la révolution qui est venue pour donner et non pour prendre, que justice soit faite aux femmes.

...

1 commentaire:

toika a dit…

merci pour ce discours des visionnaires d'il ya une vingtaine d'année et du courage pour vos ecrits, nous vous lirons toujours.