mardi 14 octobre 2008

Droit dans les yeux: Et si l’on reparlait de la peur.

Droit dans les yeux

(Corruption au Burkina)

Et si l’on reparlait de la peur.

Elle surgit dans l’actualité de nos rencontres, elle surgit dans l’actualité de la presse. Elle est présente partout, j’en ai déjà parlé dans cette rubrique il y a un an et demi. Je voudrais y revenir aujourd’hui à propos d’une rencontre et à propos d’un article de journal.



Je voudrais d’abord rendre hommage à cette dame de l’Action Sociale qui m’a confié, en sortant d’une réunion où on avait évoqué les prétendues « mangeuses d’âmes » : « Mon Père, moi aussi, j’ai peur ; pourtant je sais que ce que vous dites est vrai, mais j’ai peur. » Alors, j’ai essayé de lui expliquer tranquillement, posément : Ne craignez pas, madame, cette peur qui monte en vous. C’est une peur qui vient de plus loin que vous, c’est une peur que vous a enseignée votre culture, c’est une peur que vous ont enseignée les anciens… mais, CE N’EST PAS VOTRE PEUR. Apprenez à prendre de la distance avec cette peur, à bien voir que ce n’est pas la vôtre, mais celle de votre milieu. Votre foi, votre confiance en Dieu vous y aidera aussi – Dieu ne nous veut pas du côté de la peur. Sans doute il en restera toujours un peu quelque chose, mais petit à petit, elle s’atténuera et ne vous empêchera plus d’agir ; elle ne vous paralysera plus.

Et j’ai partagé avec elle ma petite expérience : j’ai moi-même mis longtemps à comprendre que la « peur des chiens » et la « peur d’entrer dans l’eau » n’étaient pas mes peurs à moi, mais les peurs de ma mère liées à son expérience et qu’elle m’a transmises inconsciemment. Ainsi peu à peu, j’ai pu me libérer de ces peurs là… et même s’il en reste quelque chose, cela ne m’empêche plus de vivre, même quand je passe à côté d’un chien, ou que je suis entouré d’eau.



Autre aspect de la peur évoqué cette fois dans la presse : Un récent « droit de réponse » du directeur de la communication du ministère de la Justice (L’Observateur 7232 du lundi 6-10-2008 p.11) m’a interpellé, je cite : « Le ministère de la Justice était jusque là convaincu que les enquêteurs du RENLAC n’étaient pas des citoyens « lambda » ayant PEUR DES EVENTUELLES REPRESAILLES, mais des activistes résolument engagés pour la lutte contre la corruption… ».

Ce directeur, dont je ne connais pas le nom, aborde là une vraie question du militantisme dans notre pays (mais pas seulement dans notre pays), que ce militantisme relève des domaines politiques, syndicaux, associatifs, journalistiques ou autres… Et tout particulièrement dans la lutte contre la corruption qui, si elle ne se limite pas à dénoncer les petits rackets dans lesquels ne sont pas impliquées les hiérarchies, est extrêmement dangereuse et souvent assortie de menaces de mort ou de vives représailles : en effet, quelque soit le domaine touché, les intérêts en jeu deviennent souvent très importants, bien plus même que ce que peuvent imaginer les citoyens « lambda ». Sans devenir paranoïaque (maladie des gens qui ont peur de tout), il faut user d’une grande prudence pour aborder ces sujets et je tiens à rendre hommage aux gens du RENLAC qui osent évoquer ces questions à temps et à contre-temps, en espérant que toutes ces choses connues seront sanctionnées, quand interviendra le bon vouloir des autorités ou que seront imposées les exigences du millenium challenge (la lutte contre la corruption conditionne le versement des fonds ; c’est sans doute pour cela qu’on en parle beaucoup aujourd’hui : mais en parler n’est pas encore lutter)

Pour ce qui est de la justice, les « preuves de corruption » n’existent pas : seules peuvent exister les dénonciations qui se retournent habituellement contre leurs auteurs (dénonciation calomnieuse, diffamation : vous connaissez tous l’arsenal répressif mieux que moi). Mais comme le dit Maître Guy Hervé Kam, avec la naïve simplicité du citoyen lambda, « il est constant qu’en regardant bien dans le sens de nos tribunaux, l’on peut être sûr de voir des décisions qui heurtent tellement le simple bon sens, que seule la corruption peut les avoir inspirées. » Parole d’un homme de loi !

Dans les autres domaines, ils sont nombreux ceux qui ont jeté l’éponge dans la lutte contre la corruption, tant la pression et les menaces de représailles sont fortes : distribution des médicaments de rues, attribution des marchés, exécution des travaux, détournements, faux en écriture, abus de biens sociaux, prise d’intérêts illégaux, commissions indues à tous les niveaux. A ce propos, il serait bon que les services des impôts viennent nous dire que le terme « villas de l’impunité » est inapproprié lorsque les contrôles fiscaux auront montré clairement que tout cet argent a bien été gagné par les propriétaires à la sueur de leurs fronts… et cela ferait taire les rumeurs. Mais l’inspecteur des impôts qui se lancerait dans cette opération risquerait gros !

Oui, c’est un domaine où l’on peut avoir peur.

Elles sont déjà très nombreuses les affaires « connues », « sorties dans le domaine public », étalées devant les citoyens lambda », comme l’affaire des tracteurs indiens dénoncée à Dori lors de la journée du paysan, l’affaire du dédouanement des grosses cylindrées, l’affaire du DG de la douane… Tant que la justice ne s’affairera pas à les faire aboutir autrement qu’à travers des non-lieu ou des sanctions bidon, il sera difficile de nous faire croire que l’on peut apporter de nouveaux plats à digérer !
Et puis, question de vie ou de mort pour ceux qui ont le courage de dénoncer, de s’attaquer aux vraies affaires, à la vraie corruption d’en haut (pas la petite d’en bas) les journalistes du Burkina ont déjà payé leur part !
Et rien ne dit qu’il ne faudrait plus avoir peur.

Père Jacques LACOUR
jacqueslacourbf@yahoo.fr
(Koudougou, le 9-10-2008)

Paru dans le Quotidien Le Pays n°4222 du mardi 14 octobre 2008 (rubrique « Droit dans les yeux ») http://www.lepays.bf/quotidien/spip.php?article27

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