mercredi 22 octobre 2008

Droit dans les yeux: Eviter l'esclavage agricole au Burkina

Droit dans les yeux:

Eviter l'esclavage agricole au Burkina

(De l’agriculture familiale à l’ « entreprise agricole »)


Durant tout l’hivernage, nous avons beaucoup entendu parler des fermes modèles gérées par nos autorités, ces exploitations agricoles supposées être plus performantes que l’agriculture familiale.

Pourtant, je n’arrive pas à me contenter des informations que l’on nous communique sur cette nouvelle forme d’agriculture au Burkina. De multiples questions ne cessent de m’assaillir auxquelles je ne trouve pas de réponses. Mais qui pourrait trouver des réponses à mes questions ?


Ces nouvelles exploitations agricoles sont en fait, des « entreprises » agricoles. Les ministres, députés, ambassadeurs ou autres qui en sont propriétaires ne travaillent eux-mêmes pas dedans, dans la mesure où ils sont accaparés par leur tâche nationale qui ne devrait pratiquement leur laisser aucun temps libre.


Dans ce cas, ils emploient nécessairement du personnel : un gérant, des chauffeurs de tracteurs, des manœuvres, des employés, peut être des personnels qualifiés, vétérinaires ou agronomes… Quel est le statut de tous ces personnels ? Sont ils déclarés ? Ont-ils une feuille de salaire ? Paient ils l’IUTS, la taxe d’apprentissage ? Cotisent ils à la CNSS ? Qu’arrive t il en cas d’accident du travail ? Quelque chose est il prévu pour leur retraite ?

Bien sûr, à moins d’être un inspecteur du travail ou un journaliste d’investigation, il est impossible au « chroniqueur » que je suis d’accéder à ces informations. Du coup, à ceux qui me demandent comment lancer une « entreprise agricole » comme celle du premier ministre, je ne peux rien répondre. Personne ne sait vraiment en effet sur quelles bases légales fonctionnent ces « entreprises ». Si l’assemblée nationale a très rapidement – vraiment très très rapidement – trouvé un statut pour les semences OGM dans notre paysage agricole, elle ne semble pas s’activer aussi intensément sur le statut des salariés des entreprises agricoles. A moins qu’elles ne soient des entreprises comme les autres, mais alors je parie que les inspecteurs du travail ne s’aventureront pas sur ce terrain délicat…


Autre question qui ne me semble pas encore très claire, ces exploitations agricoles d’un nouveau style qui ressemblent fort à des « entreprises » avec salariés et tout, et tout…, sont elles reconnues par les services des impôts comme des entreprises avec toutes les exigences que cela implique : réglementations, impôts et taxes divers… Ou bien font elles partie du « secteur informel », ce qui paraîtrait bien difficile à justifier vu l’ampleur qu’elles ont prises.


Si ce sont des entreprises, font elles un bilan (amortissements, charges, intrants, salaires, frais divers… recettes, vente de la récolte…bénéfices), comme nous essayons de l’enseigner aux paysans pour vérifier au moins que leur travail est rentable ?

Toutes ces opérations font elles l’objet de déclarations ? Ou tout cela reste t il dans le flou artistique pour leur permettre d’échapper à l’impôt et aux contrôles fiscaux?


Si je pose toutes ces questions, c’est que je vois venir pour l’Afrique les mêmes situations dramatiques que celles qui se déroulent aujourd’hui en Amérique latine.

De grands propriétaires fonciers (ou des sociétés multinationales) accaparent toutes les bonnes terres agricoles pour y faire de l’ « agrobusiness », ou comme placements spéculatifs immobiliers à long terme.

Ils exproprient – ou plutôt font exproprier – les petits paysans et propriétaires coutumiers, avec la complicité des dirigeants politiques à leur solde. Y compris avec la terreur de milices et paramilitaires de tous ordres qui n’hésitent pas à assassiner.


Ils transforment ces paysans sans terre en esclaves agricoles sous payés et surexploités, ce qui leur permet, par exemple, de « casser les prix » de la banane sur le marché mondial.

A moins que ces paysans n’aient fui dans les bidonvilles des banlieues où règnent les mafias et l’empire de la drogue, zones de non droit et de violence.


Si je pose toutes ces questions, c’est que je souhaiterais vraiment que tous les acteurs de la vie publique impliqués dans cette problématique fassent preuve de transparence et de responsabilité sur ce sujet tellement important pour l’avenir de notre pays :

= que les acteurs eux-mêmes de ces « entreprises agricoles » salarient leurs employés sur les bases légales du salariat au Burkina. Et si, dans ce cas, les exploitations ne sont plus rentables à leurs yeux, qu’ils rendent la terre aux paysans qui sauront en vivre.


=que les députés veuillent bien se saisir de cette question du « salariat agricole » dans les grandes fermes, pour que jamais ne soit considéré comme légal ou normal de payer les femmes 300F par jour pour le battage du mil (comme dans le secteur informel de la vallée du Sourou).


=Que les inspecteurs du travail veuillent bien vérifier le statut des salariés agricoles sur les grandes fermes, nouvelles « entreprises agricoles », dont on nous a tellement vanté les mérites au cours de cette campagne.

=Que les inspecteurs des impôts appliquent tout simplement la loi, comme ils l’appliquent à ceux qui ouvrent un télécentre ou un secrétariat public : ces « fermes modèles » ne sont elles pas des entreprises créées pour « faire du bénéfice » comme les autres ?


=Qu’enfin, des journalistes d’investigation s’intéressent au statut des salariés et au fonctionnement de ces nouvelles entreprises pour que jamais ne se développe dans notre pays un esclavage agricole comme il en existe en Amérique Latine.


Père Jacques LACOUR

Koudougou, le 15 octobre 2008


jacqueslacourbf@yahoo.fr


paru dans le Quotidien "Le Pays", rubrique "Droit dans les yeux", le 21 octobre 2008



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