vendredi 12 décembre 2008

Il était une fois une lampe

Burkina Faso, Affaire Norbert Zongo:

Il était une fois une lampe


Une lampe. Quoi de plus banal ! dira-t-on. Oui, c’est a priori vrai si elle servait seulement à éclairer l’intérieur de la case d’une vieille au village, les étals d’un épicier dans un quartier périphérique ou encore le salon d’accueil d’un commissariat de police dans un chef-lieu de département isolé. Mais point de tout cela. Ce luminaire posé à l’entrée du bâtiment du Centre national de presse Norbert-Zongo (CNPZ) a une mission toute autre et des plus importantes : rester allumé jusqu’au jour où la lumière judiciaire sera faite sur la mort de ce journaliste émérite dont le centre porte le nom.

En janvier 1999, soit un mois après la mort du fondateur de l’hebdomadaire l’Indépendant, les journalistes participants à une journée qui lui était dédiée ont décidé d’installer ledit objet, pour symboliser leur soif de lumière (vérité) et de justice sur l’assassinat de leur confrère.

Et huit ans après, un des participants, Jean Claude Medah, président de l’Association des journalistes du Burkina (AJB), semble toujours animé de la détermination du premier jour : « Il en sera ainsi. La lampe restera allumée jour et nuit, qu’il pleuve ou qu’il neige. C’est vrai qu’il n’y a pas de neige au Burkina mais, c’est dire que, malgré les intempéries, ce luminaire jouera à plein temps le rôle pour lequel il a été conçu ».


Beaucoup de personnes qui visitent le Centre de presse cherchent à comprendre le symbolisme de cette lampe. Après explication, certains auditeurs, étreints sûrement par l’émotion, font parler leur cœur. Ils mettent la main à la poche en disant : « Tenez, payez du pétrole pour allumer votre lampe ». La deuxième du genre.

La première ayant été envoyée au cimetière parce qu’elle fumait beaucoup. En attestent les taches noires sur le mur. Le personnel d’appui s’occupe de l’entretien quotidien de l’objet avec une régularité qui frise le fétichisme. C’est le cas de Michel Nana, un des chargés de la sécurité des lieux. Il y a été embauché le 10 octobre 1998, soit deux mois avant l’assassinat de Norbert Zongo.

Etait-il présent le premier jour de l’installation de la lampe, en janvier 1999 ? « Non, a-t-il répondu, j’étais de nuit. On l’a mise dans la matinée, et c’est donc à mon arrivée, le soir, que je m’en suis aperçu ». A l’écouter, depuis ce jour, leur toute première activité lorsque lui ou son collègue de travail arrive le matin, c’est de voir comment s’est réveillée Dame Lampe.

Ils sont aux petits soins pour elle, comme s’il s’agissait de la prunelle de leurs yeux : « Nous vérifions le niveau du pétrole ; s’il est bas, nous en rajoutons. Nous nettoyons le verre s’il est sale et vérifions de temps en temps l’état de la mèche ». Et Jean Claude Medah de renchérir : « En saison pluvieuse, s’il y a du vent ou une averse qui risque de l’éteindre, nous la plaçons sous le chapiteau. Bien entendu, il arrive que l’on l’éteigne, mais juste pour changer de mèche ».

Dans le registre comptable de la maison, l’entretien de la lampe est classé dans la rubrique des menues dépenses, à l’image des piles pour la torche du gardien. Foi de Michel Nana, le verre de la lampe actuellement en fonction n’a jamais été changé. Par contre, le pétrole, lui, est injecté dans le réservoir en moyenne une fois tous les deux jours. « A la station, pour l’achat du carburant, j’amène avec moi 2000 FCFA pour une provision qui permet de tenir environ 15 jours », a estimé cet interlocuteur, qui ne veut se risquer à faire dans la précision.

Avec un petit calcul, la lampe a, depuis son installation en 1999, consommé pour environ 384 000 FCFA de pétrole. Une lanterne bien vorace, penseront les Harpagon sans cœur qui ne voient qu’à la dépense, oubliant la grande peine de ce luminaire constitué d’un réservoir contenant du pétrole lampant qui monte vers le bec grâce à une mèche et apparu vers 1853, malheureux veilleur de jour et de nuit, obligé de fonctionner 24 heures sur 24, qu’il pleuve ou qu’il neige, pour reprendre la formule de Claude Medah.

Le mieux serait plutôt de lui souhaiter de pouvoir s’éteindre bientôt pour souffler un peu. Sûrement que sa flamme rendra l’âme un jour, pour donner raison à cette sagesse qui stipule qu’aussi longtemps que durera la nuit, viendra le jour.

© L'Observateur : Issa K. Barry

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