mercredi 6 mai 2009

Droit dans les yeux: d’autres paroles du Pape…

Droit dans les yeux

D’autres Paroles du Pape… (pas seulement le préservatif !)



A l’occasion de la récente visite du pape en Afrique, les médias se sont focalisés sur les paroles qu’il a prononcées à propos du préservatif… et cela a fait complètement oublier ou passer sous silence les autres grands thèmes qu’il n’a cessé d’aborder et qui sont extrêmement préoccupants pour l’Afrique. Lors de son passage au Cameroun, il a remis un document de travail extrêmement intéressant aux évêques, et par delà, à tous les chrétiens et les hommes de bonne volonté d’Afrique… je vous invite à en lire cinq paragraphes qui pointent quelques injustices criantes sur le continent et nous interpellent aussi dans notre situation :



« 56. La dimension sociopolitique de la justice. Pour réclamer justice, certaines « minorités ethniques » ou régions lésées prennent les armes et déclenchent la guerre. Les émeutes et expulsions de populations allogènes dans un même pays sont des actes graves d’injustice qui passent souvent impunies. Car souvent, les institutions judiciaires et toutes celles qui luttent contre la corruption sont noyautées par les forces politiques. Ceux qui détiennent le pouvoir utilisent les agents de la sécurité pour mater les citoyens qui expriment des opinions contraires aux leurs. D’autres formes d’injustice sont mentionnées : la peine de mort, le traitement inhumain des prisonniers, souvent en surnombre dans les maisons d’arrêt ; des délais excessifs de procès ; la torture des prisonniers ; l’expulsion des réfugiés au mépris de leur dignité.



« 57. La dimension socioéconomique de la justice. Le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) cherche à identifier les formes et les causes de la corruption qui sévit sur le continent, et qui restent impunies. Les ressources naturelles sont confisquées et dilapidées par quelques groupes d’intérêt. La mauvaise gestion, les détournements de fonds publics, l’exode des capitaux vers les banques étrangères contre lequel l’Église qui est en Afrique avait déjà élevé la voix au dernier Synode, sont là des formes d’injustice qui demeurent impunies et contre lesquels l’Église doit prêter sa voix aux sans-voix.



« 58. Les travailleurs agricoles sur lesquels repose une grande partie de l’économie africaine sont victimes d’injustice dans la commercialisation de leurs productions, souvent payées à des prix très bas, fixés paradoxalement dans certaines régions par les acheteurs eux-mêmes. La population déjà défavorisée ne fait que s’appauvrir davantage. La campagne de semences d’Organismes Génétiquement Modifiés (OGM), qui prétend assurer la sécurité alimentaire ne doit pas faire ignorer les vrais problèmes des agriculteurs : le manque de terre arable, d’eau, d’énergie, d’accès au crédit, de formation agricole, de marchés locaux, d’infrastructures routières, etc. Cette technique risque de ruiner les petits exploitants, de supprimer leurs semences traditionnelles et les rend dépendants des sociétés productrices des OGM. À cela s’ajoute le problème du changement climatique dont les effets se font sentir dans les zones arides, compromettant les gains modestes des économies africaines. Les Pères synodaux peuvent-ils rester insensibles à ces questions qui pèsent sur les épaules des paysans ?



« 59. La dimension socioculturelle de la justice. La culture est également le lieu d’injustices à examiner et à éradiquer, notamment le népotisme et le tribalisme qui sont des travestissements du devoir d’aide à son « frère ». La femme continue d’être assujettie dans toutes les régions sous diverses formes : les violences domestiques, expression de la domination des hommes sur la femme ; la polygamie qui défigure le visage sacré du mariage et de la famille, aussi par la compétition qu’elle engendre entre coépouses et enfants ; le manque de respect de la dignité et des droits des veuves ; la prostitution ; la mutilation des organes génitaux des femmes. Dans le rapport des nations, la mondialisation est un phénomène qu’il sied de considérer dans sa dimension légale, administrative et pratique. Car l’Afrique est devenue vulnérable face à l’envahissement des modèles des puissances militaires et économiques.



« 60. Le système éducatif demeure inadéquat : des classes d’élèves et étudiants en surnombre et des rapports enseignant/élèves ou professeur/étudiants anormaux. Les programmes éducatifs sont orientés vers la formation de chercheurs d’emplois et non de créateurs d’emplois. Le taux de chômage, par le fait même, galope car tous n’arrivent pas se faire employer. Compte tenu de l’engagement de l’Église dans le système éducatif, les Églises particulières souhaitent que les appels des Pères synodaux orientent et stimulent la recherche de ceux qui en ont la charge. »



Ce texte, s’il venait à tomber dans les mains du ministre de l’agriculture pourrait l’aider à réfléchir, en particulier par rapport aux OGM… Cette parole d’une grande autorité morale ne pourrait elle peser dans le débat en cours aujourd’hui au Burkina ? Le pape n’est inféodé à aucune multinationale semencière et recherche le bien des paysans… Puissions-nous, avec lui, devenir sensibles à toutes les questions qui pèsent sur les épaules des paysans.



Dans ce texte, les questions évoquées sont celles qui nous touchent dans notre quotidien. J’espère qu’un jour nos pères évêques du Burkina sauront actualiser pour nous dans nos situations concrètes ces paroles venues du Vatican. Et cela, pour donner force et courage à tous ceux qui travaillent dans le sens de la justice et de la paix et qui ont souvent l’impression de travailler à contre courant… sans l’encouragement explicite des grandes autorités morales du pays.



Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)

jacqueslacourbf@yahoo.fr



Ce texte a été publié dans le journal "Le Pays", rubrique "droit dans les yeux", le mardi 5 mai 2009. edition papier et édition électronique.


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