jeudi 21 mai 2009

Droit dans les yeux: Démocratie ou chefferie ?

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Droit dans les yeux

Démocratie ou chefferie ?


Tous les peuples d’Afrique ont applaudi à l’élection de Barack Obama, véritable alternance démocratique à la tête de la superpuissance américaine.


Mais vous n’imaginez pas l’immense tristesse des jeunes du Burkina, ceux du moins qui ne se contentent pas de danser le samedi soir, ceux aussi qui ne se laissent pas aller aux seuls amusements proposés par le pouvoir.

« Chez nous, il n’y a pas de démocratie » ; « Notre président n’est pas un président, c’est un chef coutumier » ; « regardez comme il a duré : 21 ans : il n’accepte pas l’alternance, il ne la veut pas, même avec un autre leader de son parti » ; « chef, il est chef et n’imagine pas un instant laisser sa place à un autre ; il veut mourir au pouvoir comme tous les chefs ; même pas une alternance à la russe Medvedev/Poutine… »


Et c’est vrai qu’au Burkina, certains principes élémentaires de la démocratie ne sont pas encore acquis tant ils se heurtent aux fondamentaux de la chefferie qui restent profondément ancrés dans la majorité de la population, mais surtout chez les chefs de toute nature qui semblent avoir bien du mal à entrer dans la modernité, mais surtout à renoncer à leurs privilèges.



Le principe de l’égalité et de la liberté des citoyens : homme ou femme, fils de chef ou paysan ordinaire, de condition libre ou de condition servile, « tous les hommes naissent libres et égaux en droits »,… Une longue marche à accomplir encore tant certains sont encore attachés à leurs privilèges et « plus égaux que les autres »! On pourrait mesurer ce principe au taux de remplissage des « cours des sœurs » par les filles en fuite qui se réfugient chez elles…


Le principe des élections libres et régulières et de la représentation des citoyens pour la création des lois et la gestion des collectivités publiques à tous les niveaux (de l’Etat à la commune). C’est de là que découle normalement l’alternance politique, « condition nécessaire mais pas suffisante » de la démocratie : les déclarations récentes de Mr le député Mahama Sawadogo, du groupe parlementaire CDP et qui conteste ce principe, nous prouvent que là aussi, le chemin à parcourir est encore bien long. « Le pouvoir corrompt », dit la sagesse populaire : le renouvellement des personnes favorise un réel renouveau qui empêche toute dérive autocratique. Il n’en est pas ainsi dans la chefferie où l’on meurt au pouvoir, et les luttes pour la succession deviennent alors particulièrement violentes…


Le principe de la discussion, selon lequel tout sujet important touchant à la vie de la nation doit être soumis, dans la mesure du possible, à un débat public, ouvert et rationnel. Ainsi les réformes sont possibles sans recours à la violence. On imagine ainsi qu’en vraie démocratie, soient consultés et écoutés les soignants sur la santé, les enseignants sur l’école, les paysans sur l’agriculture… La plupart du temps, il n’en est pas encore ainsi au Faso : Les OGM sont décidés sans les paysans, les accords sur les flux migratoires surprennent tout le monde, les grandes priorités d’infrastructures sont incomprises des populations… et les exemples sont très nombreux…C’est le chef qui décide encore et toujours…


Le principe de la séparation et du contrôle mutuel des pouvoirs qui devrait permettre une limitation et un partage des pouvoirs est prévu par le droit au Burkina, mais n’est pas appliqué : le parlement est une simple chambre d’enregistrement, la justice est soumise à l’exécutif… Là encore c’est le chef qui a le dernier mot en tout et chacun se soumet : tout cela est bien loin du modèle démocratique !



J’ai eu la chance d’être invité il y a quelques temps au « forum des citoyens de l’alternance » où un certain nombre de ces questions ont pu être posées publiquement. Mais suffit-il de remplacer un « chef démocrateur et durable » par un « chef démocratique » ? On n’aurait pas encore résolu le problème. Il s’agit réellement d’entreprendre cette longue marche (pour tout un peuple et pour ses chefs) de la chefferie vers la démocratie. Pour que chaque citoyen, chaque citoyenne, au-delà de toute manipulation et de toute peur, puisse s’approprier la part de pouvoir qui lui revient dans la gestion des choses de sa vie et de la vie de la nation.


Mais tant que les dirigeants (politiques, économiques, associatifs, syndicaux, etc.…) bloqueront toute évolution vers la démocratie, en refusant l’alternance, en se scotchant au pouvoir, en s’en nourrissant, eux et leurs proches au détriment du bien commun, cette marche de la chefferie vers la démocratie que tous aujourd’hui veulent pacifique, pourrait tourner au vinaigre.


Aujourd’hui, le Burkina Faso a désespérément besoin de leaders généreux, imprégnés de démocratie, passionnés par le développement de leurs peuples, soucieux d’associer toutes les populations à la gestion du pays, éveilleurs de conscience démocratique à tous les niveaux, travailleurs, désintéressés et sans mentalité partisane. Quand sortiront-ils de l’ombre ?



Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)

jacqueslacourbf@yahoo.fr


(Cet article s’inspire librement pour une part de la page 32 d’une conférence du P. Mathieu Bere, sj : « La démocratie : théories et pratiques » Ouagadougou, 2009)


paru dans l'édition du mardi 19 mai 2009 du journal Le pays rubrique "Droit dans les yeux"

ici, en version électronique


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