jeudi 4 septembre 2008

En France, l'"identité nationale" engendre un état policier



Mes chers compatriotes,

Il n'y a pas que la traque des sans-papiers.
Il y a aussi celle des Français aux papiers douteux.
Ceux qui sont nés à l'étranger.
Ou bien dont les parents sont nés à l'étranger.
Fussent-ils, ces parents-là, eux-mêmes Français.

Depuis six mois environ (c'est ce qu'on nous a dit à la préfecture) des consignes sévères ont été données.
C'est la fin du laxisme, à l'identité (nationale).
On vérifie tout.
A Lyon (où j'habite), les fonctionnaires sont débordés.
Ils n'arrivent plus à traiter les dossiers de ceux qui, venus faire renouveler leur carte d'identité ou établir un passeport, posent problème.
Il y en a trop.
Il y en a de plus en plus.

En conséquence, des mesures drastiques ont été prises.
Le service n'est plus ouvert que le matin.
Quatre jours par semaine seulement.
De neuf à douze (mais il ne reçoit que jusqu'à onze heures).
C'est pour contenir l'afflux des demandes.
Ceux qui arrivent après neuf heures arrivent trop tard : il y a deux heures de file d'attente.
L'après-midi, le service traite les dossiers de ces Français suspects.
Qui avaient autrefois des papiers.
Mais à qui on n'en fournit plus.
Qui reviennent cent fois avec des justificatifs de nationalité.
Mais ça ne suffit jamais.
Car maintenant il faut tout vérifier.
Y compris les justificatifs des justificatifs.
Et ainsi de suite.


J'imagine que chaque cas est un peu particulier, mais je vais vous raconter celui de mon fils Jouan; ça vous aidera à voir de quoi il est question.

Jouan a 25 ans.
Il est né à Montpellier (Hérault), d'un père Français (moi), mais d'une mère Belge.
Il est programmeur chez Arkane, une boite de Lyon qui fabrique des jeux vidéo, et travaille souvent (par visio-conférence) avec d'autres gars établis à Austin (Texas), où Arkane a également un studio.
Il s'est donc dit, l'année dernière, qu'il ferait bien d'avoir un passeport, dès fois qu'on l'envoie à Austin, par exemple.

Il s'est pointé à la Préfecture de Lyon, muni de tous ses papiers (extrait d'acte de naissance, carte d'identité, d'électeur, livret de famille, que sais-je encore).
Il croyait que ça serait facile, à part la file d'attente.

A la préfecture de Lyon, on a d'abord tiqué sur sa mère Belge.
Car les accords bilatéraux entre la France et la Belgique ne permettent pas que l'on soit Français si l'on est Belge.
Parait-il.
On a donc demandé à Jouan de fournir un certificat de renonciation à la nationalité belge.
Et pourquoi pas? me direz-vous.

Jouan s'est adressé au consulat de Belgique pour obtenir ce certificat.
Malheureusement, la Belgique pratique un strict droit du sol.
Les enfants de Belge nés hors de Belgique ne deviennent Belges que s'ils en font la demande expresse.
A l'age de 18 ans.
Après c'est trop tard.
Tu n'es pas Belge.
Tu n'as jamais été Belge.
Tu ne seras jamais Belge.
Le consulat a donc gentiment expliqué à Jouan qu'il ne pouvait lui faire un acte de renonciation à la nationalité belge.
Puisqu'il n'était pas Belge.

A la préfecture, ils n'ont pas beaucoup aimé que Jouan ne fournisse pas le papier demandé.
Mais ils ont passé l'éponge.
Ils ont préféré s'intéresser à son père (moi).
Français né de mère française et de père français.
Mais au Maroc.
(Du temps des colonies.
A l'époque où le drapeau tricolore flottait sur ce pays.)

Ici, une petite explication s'impose.
Il y avait autrefois toutes sortes de colonies.
Il y en avait qui étaient des départements français, comme l'Algérie.
Et c'était la France.
Il y en avait qui étaient des protectorats, comme la Tunisie ou le Maroc.
Et c'était l'étranger.

La préfecture a voulu vérifier si le père de Jouan (fonctionnaire de l'Education nationale, par ailleurs) était réellement Français.
Puisqu'en définitive, il était né à l'étranger.
J'ai fourni à Jouan tous les papiers requis, j'y ai même ajouté un vieux certificat de nationalité, établi par un juge d'Alès en 1970 pour je sais plus quoi, et que j'avais retrouvé par hasard.
Autant vous le dire tout de suite : cette débauche de paperasses n'a impressionné personne en préfecture.

C'est plutôt le cas de ma mère (la grand-mère de Jouan) qu'ils ont trouvé curieux.
Elle se prénomme Marie de Fatima.
Ses parents (les bisaïeuls de Jouan, donc) étaient Portugais.
Elle-même est née à Casablanca (à l'étranger, donc).
Et n'a acquis la nationalité française qu'en se mariant avec mon père.
(il y a pile soixante ans cette année, en 1948).

C'est logiquement sur mon père (le grand-père de Jouan) que s'est reportée l'attention de la police.
Puisque dans le fond, s'il n'avait jamais été français, ma mère n'aurait eu aucune raison de devenir française.

Mon père (donnons lui son nom, Louis, pour la clarté du débat) est mort depuis longtemps.
Il était né à Casablanca.
(Je sais, ça n'arrange rien).
D'un père Français.
(C'est reparti pour un tour!)

Je n'ai pas connu mon grand-père, qui est mort en 1939, bien avant ma naissance.
Il avait fait Verdun.
Mais je vous arrête de suite : ça ne prouve rien.
Louis aussi a fait la guerre, dans la Première Division Française Libre (Campagne d'Italie) et la Première Armée Française Libre (débarquement en Provence, blessure en Allemagne).
(Vous pensez bien qu'on l'a essayé, le coup du livret militaire.)
Ce n'est pas une preuve de nationalité, nous a-t-on dit.

Donc ce grand-père?
(le bisaïeul de Jouan, pour ceux qui suivent)
Celui qui a fait Verdun (ce qui ne prouve rien)?
Il se prénommait Blas.
Blas José.
(Je sais, c'est pas normal).
Il était né à Oran, au XIXème siècle.
C'est-à-dire en France, dans un département français.
(Ouf! Sauvés!)

La préfecture était presque d'accord pour que Jouan ait son passeport.
Elle préfèra toutefois être mieux renseignée sur ce Blas José, aux prénoms exotiques.
Elle a demandé à mon fils de s'adresser non plus à Nantes, où sont conservés les dossiers des Français nés à l'étranger.
Mais à Aix-en-Provence, aux Archives, où sont les morts.
Pour voir un peu si ses ancêtres avaient le droit d'être Français lorsque l'Etat les considérait comme tels, de leur vivant.

Et là, je sens que ça va se gâter.
En 1962, au moment de l'indépendance de l'Algérie, l'OAS a beaucoup plastiqué.
Elle ne voulait rien laisser aux Arabes.
Elle faisait sauter les bâtiments publics.
A Oran, l'Etat Civil a brûlé.
Il n'en est rien resté.
Que sont devenues les traces du bisaïeul de Jouan?
J'aime mieux ne pas y penser.
Quand à son trisaïeul, inutile d'insister.
Lui n'était pas Français.
Il était d'Almeria.
En face d'Oran.
En Espagne.

Combien sommes-nous dans ce cas, mauvais Français, à ne plus pouvoir obtenir nos papiers d'identité?
A Lyon, c'est certain, plusieurs centaines.
Peut-être des milliers.
Combien sommes-nous en France?
30 000, 300 000?
A ne plus avoir de papiers, ou à être menacés de ne plus en avoir.
Quand ceux que nous possédons seront périmés.
Pour Jouan, c'est dans deux ans (sa carte d'identité date de 2000).
Moi, c'est en 2014 (je l'ai faite renouveler il y a quatre ans).
Quelle sera notre situation administrative?
Sans-papiers.
Nous ne serons pas expulsables (vers quel pays? nous n'avons droit à aucune autre nationalité que française.)
Nous resterons probablement Français.
Ce serait trop compliqué de nous dénationaliser.
(Pour ne pas dire infaisable).
Mais des Français bizarres.
Qui ne pourront pas sortir de France, fût-ce dans l'espace de Schengen.
Qui dépendront du bon vouloir de la police sur le territoire national.
Dont les enfants n'auront pas droit aux bourses pour faire leurs études.
Des Français en Sarkozie comme il y eut des Juifs en Allemagne,
espérant qu'à la longue la situation s'arrange.

Mes chers compatriotes, je ne vous écris pas pour vous faire pleurer sur mon sort.
Je vous écris pour vous avertir qu'un régime policier est installé dans notre pays.
Cette fois-ci pour de vrai.
Pas un régime policier seulement pour les pauvres, les mal-blanchis et autres terroristes.
Un bon vieux régime policier pour tout le monde.
Avec de bonnes vieilles méthodes d'espionnage, d'écoutes, de cambriolages suspects, de délations, de camps de concentration, et de difficultés administratives sans fin.
Il ne se limite pas à persécuter les Africains, les Asiatiques ou les Ukrainiens.
Il s'attaque à tous.
Aujourd'hui nous.
Demain vous, je le crains.


samedi, 30 août 2008

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