jeudi 4 septembre 2008

Les mauvais choix des gouvernants burkinabè


Droit dans les yeux:
Les mauvais choix des gouvernants burkinabè

En lisant chaque jour la presse du Burkina, mon pays d’adoption, j’ai vraiment beaucoup de mal à saisir la pensée de ceux qui écrivent à la fois pour soutenir les choix économico-politiques du CDP et du président Blaise Compaore et à la fois pour critiquer la mondialisation néo-libérale dont nous sommes les victimes.

Beaucoup se plaignent amèrement de subir les effets dévastateurs du libéralisme érigé en dogme depuis la chute du mur de Berlin et d’être victimes d’une insertion forcée dans un système prédateur. Mais en même temps, ils osent affirmer que le Burkina, dont le gouvernement a fait lui-même le choix du libéralisme, n’a jamais été mieux gouverné qu’aujourd’hui.

Et pourtant tout observateur verra que depuis 15 ans, l’agriculture pourtant pilier de notre économie a été définitivement abandonnée à elle-même, sans soutien, ni encadrement, ni subventions, ni budget à la hauteur des recommandations de l’écowap (10%) ; les plaines irriguées ont été laissées à elles-mêmes ou à l’abandon, la production du riz abandonnée pour le « riz pas cher et qui gonfle » d’Asie. Les infrastructures de transformation, de stockage et de commercialisation ont toutes été démantelées et remplacées par…rien (sauf pour le coton). Tout cela pour cause de libéralisme.

Et même quand il y a eu aide pour l’agriculture, elle a parfois été spectaculairement détournée, comme pour les tracteurs accaparés par les proches du pouvoir, affaire dont la justice s’est saisie, mais dont nous attendons toujours les nouvelles.

Voilà donc une énorme faute de gouvernance que nous payons très cher aujourd’hui et qui nous rappelle que les choix néo-libéraux tant critiqués quand il s’agit de l’environnement mondial, sont les choix, clairs et proclamés, du CDP et du régime de Monsieur Blaise Compaore pour notre pays.

Si la nourriture avait été produite en surabondance par une agriculture soutenue et protégée, jamais les conséquences de la crise n’auraient atteint un tel degré. Si l’agro-alimentaire s’était développé, en favorisant le sumbala plus que le maggi ou le jumbo, jamais les conséquences de la crise n’auraient atteint un tel degré.

On ne peut à la fois reprocher au monde entier d’être libéral pour notre perte et choisir ce système pour gérer le pays ; ou alors, c’est délibérément vouloir tromper l’opinion publique et les peuples.

Tout le monde connaît les fruits amers du libéralisme (qui se réalisent sous nos yeux autant au niveau international qu’au niveau national) :

= création de richesses, oui (bons taux de croissance, bons indicateurs macro-économiques) mais au profit de quelques uns seulement, la majorité devant se contenter des miettes de la richesse accumulée, juste ce qu’il faut pour éviter l’explosion sociale.

= transfert des revenus du travail vers le capital (soif de gagner de l’argent par l’argent au détriment de celui qui crée la richesse par son travail). Transfert des richesses nationales qui étaient le « bien commun » d’un peuple vers le privé par les privatisations, les licenciements,… Les bénéfices allant au privé, mais les pertes restant à la charge de l’état, donc du contribuable.

= L’argent, les finances et le profit encouragent en permanence la spéculation et les enrichissements personnels plus ou moins licites (dont nous sommes tous témoins au pays). Alors comment reprocher en même temps la spéculation internationale sur le pétrole ou la nourriture si nous-mêmes avons abandonné « le contrôle des prix »… ou les « redressements fiscaux » sur les fortunes douteuses notoires ?

= Le libéralisme ne sait pas quoi faire de l’immense masse des pauvres qu’il laisse au bord de la route, sauf leur demander de ne plus faire d’enfants (ou d’en faire moins).

Je vais m’arrêter là, le but de cet article n’étant pas d’analyser le libéralisme – il en faudrait des pages et des pages --, mais de montrer la contradiction de nombreux discours actuels.

Il faut oser dire aux Burkinabè que dans de nombreux domaines nous avons été mal gouvernés (ou plutôt, pas bien au profit de tous) à cause de ces choix libéraux..

Il faut oser dire aux Burkinabè que la situation politique et économique actuelle résulte pour une grande part des choix libéraux de nos gouvernants (et du CDP) depuis 20 ans.

Et n’oublions pas que cette situation de crise et de spéculation rendue possible par les choix que nos gouvernants ont faits, si elle fait la ruine de tant de pauvres, elle profite aussi à beaucoup, tant sur le plan international que national.

NOTE :

Nous venons de signer avec les Etats-Unis un accord dans le cadre du Millenium Challenge.

Avec la majorité des burkinabè, je me réjouis des sommes engrangées, mais n’oublions pas les conditions d’adhésion à ce programme: pour en bénéficier, il faut en effet être « libre-échangiste ».

C'est-à-dire que, dans quelques années, quand les Etats-Unis viendront nous vendre du maïs OGM pour nous nourrir deux fois moins cher que le maïs local pour lequel nous aurons beaucoup investi pour sa relance, il nous sera impossible de le refuser ; concurrence déloyale sur les marchés et libre échange obligatoire auront une nouvelle fois raison de nous !

Koudougou, le 20 juillet 2008

Père Jacques Lacour (jacqueslacourbf@yahoo.fr)


publié dans "Le Pays" n°4183 du mardi 19 août 2008 (édition papier)


jeudi, 21 août 2008

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