jeudi 4 septembre 2008

La souffrance des jeunes Trop de contradictions.


Droit dans les yeux

La souffrance des jeunes

Trop de contradictions.

Bien des jeunes au Burkina ne savent plus qui ils sont, tiraillés entre des mondes si différents dont ils n’arrivent pas encore à faire l’unité.

Au retour de mon dernier voyage au Mali, après avoir beaucoup parlé avec quelques uns d’entre eux, j’écrivais ceci dans mon « carnet de route » :

« Merci pour ceux qui cherchent au-delà de la déchirure
Cette synthèse impossible entre tradition et modernité
Il faudrait greffer, il faudrait tailler, il faudrait inventer
Il faudrait choisir un choix encore impossible. »

Oui, beaucoup de jeunes, dans cette société qui relève de deux ou trois droits, qui est gérée par deux ou trois lois ne savent plus où ils en sont. Nombreux aussi sont ceux qui portent trois noms qui leur permettent de faire face à toutes les situations où ils se trouvent embarqués malgré eux, sans volonté certaine. Nombreuses aussi les confusions, nombreux les syncrétismes. Vivre ainsi déchirés, sans cette profonde unité intérieure qui pacifie, n’aide pas les jeunes à trouver leur place dans une société marquée par une concurrence terrible où les privilégiés bousculent encore un peu plus les repères moraux et traditionnels.

Quelques exemples trouvés dans l’actualité de ces derniers jours peuvent nous éclairer sur les contradictions auxquelles ils sont confrontés dans une société déchirée entre deux mondes:

Dans une récente cérémonie, j’ai entendu Monsieur Benoît Ouédraogo dire ceci :

« Dans la société mooaga que je connais un peu, certaines règles qui président au fonctionnement de la société, de même que l’éducation portent en eux des germes de discrimination, d’iniquité, d’injustices sociales graves.
Ainsi par exemple, l’homme est, par essence, supérieur à la femme, elle est une étrangère dans la famille de son mari, elle n’a aucun droit de propriété sur la terre, les enfants sont la propriété exclusive du mari (…) Au regard d’une telle vision des choses, la veuve et l’orphelin, tout comme la femme accusée de sorcellerie sont sans défense dans le contexte de la société traditionnelle mooaga, car il y a primauté dans les faits de la norme juridique traditionnelle (connue et intériorisée parce qu’inscrite dans la culture) sur la norme juridique moderne en vigueur.
Or notre pays adhère à la déclaration universelle des droits de l’homme qui proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits… »

Qui va aider les jeunes moose à faire la synthèse entre ces deux mondes, sans être obligés de vivre des vies « à tiroirs », selon le jour ou la nuit, que l’on est en ville ou au village, avec les coutumiers ou à l’église, entre amis ou à faire un exposé à l’université. Qui les aidera à faire la synthèse ?

Autre exemple, fin juin 2008, les chefs de canton de Djiguila et de Kirtenga s’en sont remis aux fétiches pour résoudre une question foncière… Et il y avait foule sur les lieux au point que les policiers dépêchés n’ont pas pu empêcher le rite de s’exécuter.

Pour le foncier et pour beaucoup d’autres litiges, il y a deux lois qui se superposent en permanence au Burkina : 70% de la population rurale relevant pour les actes quotidiens de cette loi coutumière, même si les autorités de l’état disent qu’il n’existe qu’une seule loi !

Comment alors gérer en soi et dans la vie ce conflit permanent entre deux régimes, l’ancien bien mooaga et le nouveau perçu et vécu comme importé et plaqué sur une situation dont il ne semble pas prendre en compte la « vraie » réalité. Qui nous sortira de ces contradictions ?

Julien Koutouba, ministre de la jeunesse et de l’emploi disait dans une toute récente interview :

« Nos sociétés sont les plus pacifiques (…) mais le monde a changé ; il y a de grandes mutations comportementales qui se font. Notre jeunesse (60% de la population a moins de 25 ans) n’est pas en reste. L’urgence, c’est le travail permanent qu’il faut entreprendre, c’est toujours la sensibiliser, la conscientiser… » Mais qui le fera ?

Il dit aussi ceci à propos des élections en Afrique :

« J’ai parfois l’impression que les africains ont importé un système politique de gouvernance que leur subconscient et leur culture rejette. Le greffage ne semble pas être accepté par l’organisme. « La démocratie » appliquée sous les tropiques pose des difficultés énormes parce qu’elle est le reflet d’une autre culture, d’une autre conception du pouvoir et de l’autorité »

L’alliance entre la tradition et la modernité n’a pas été faite non plus dans ce domaine.

A toutes ces contradictions d’une société qui ne connaît plus ses repères, s’ajoutent la démission de nombreux parents, les modèles véhiculés par les médias, la disparition des interdits. Du coup, une certaine jeunesse complètement déboussolée tombe dans l’alcoolisme, le tabagisme, la drogue, la prostitution, le vagabondage sexuel, les nuits blanches à danser, les interminables séances de thé, l’oisiveté… ce sont les signes d’un mal être profond dans un monde qui change trop vite, très moderne mais encore enraciné dans la coutume…

Les emplois manquent crucialement.

Certains parfois voudraient se lancer dans des métiers, paysans ou autres, mais ils n’ont accès ni à la terre, ni au crédit, ni parfois au fruit de leur travail.

Que faire alors, sinon rêver de partir. Certains réclament même de partir malgré des frontières fermées et des expulsions musclées.

« Si je peux, je pars tout de suite… » Ils me disent tous cela, même ceux que je crois bien insérés et heureux ici.

Ils veulent fuir, ils veulent s’enfuir, ils veulent se fuir, tant le combat à mener est titanesque, tant la synthèse à accomplir est douloureuse, comme d’un accouchement qui n’en finirait pas.

NOTE :

A propos de l’Université fermée, tout a été dit.

= 30.000 étudiants pour une société qui, au maximum, absorbera dans son administration et son économie un milliers de diplômés chaque année : que faire ? Et pourtant sans la connaissance, un pays ne peut avancer.

= Si on avait voulu chasser les étudiants les plus pauvres de l’université, on ne s’y serait pas pris autrement. Cette « punition collective » écartera définitivement ceux dont la situation matérielle est la plus précaire.

= Au fait, une question me taraude : ceux qui ont pris la décision de fermer l’université, ont-ils leurs enfants à l’université de Ouaga, ou ailleurs, à l’étranger ? La réponse à cette question pourrait donner quelques pistes sur les motivations…

Koudougou, le 20 juillet 2008

Père Jacques LACOUR (jacqueslacourbf@yahoo.fr)


paru dans la rubrique "Droit dans les yeux" du Journal "Le Pays" du 29 juillet 2008, repris également sur le faso.net du 29 juillet.


jeudi, 31 juillet 2008

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