mercredi 3 septembre 2008

Migrations, que de questions !

Le Pays n° 4096 du 15/04/2008

DROIT DANS LES YEUX

Migrations, que de questions !

Il vient vers moi, après l’atelier sur les migrations du forum social de Ouahigouya ; il se déplace en voiturette d’handicapé ; voilà ce qu’il me dit : "Mon père, il faut nous laisser partir ! Tu vois, si je n’avais pas eu mon oncle en Europe, jamais je n’aurais pu faire des études ; aujourd’hui, je serais un mendiant. Il faut nous laisser partir…".

Je suis ému, parce que c’est vrai. C’est vrai pour lui et c’est vrai pour une foule de jeunes qui attendent à chaque rentrée l’envoi d’argent qui vient de l’étranger et qui leur permettra de continuer à étudier. C’est vrai pour lui et pour de nombreuses familles : sans cet apport, elles seraient dans la misère. L’argent que les migrants envoient au pays, pour l’Afrique de l’Ouest, c’est au moins l’équivalent, sinon plus que l’aide au développement des pays riches ! Des milliards et des milliards de francs. Qui vont directement aux familles, là où il y en a le plus besoin. Alors que l’aide des pays riches, bien souvent, ne va pas là où il faut, sauf à soutenir des "régimes durables" à leur solde. (La françafrique n’est pas morte !) Mais cette aide-là va en diminuant chaque année, nous dit la presse ces jours-ci…

Depuis longtemps, les Burkinabè quittent la campagne pour aller vers la ville ; ils quittent les terres arides pour aller vers des terres fertiles ; ils quittent le pays pour aller en Côte d’Ivoire ou ailleurs. Les intellectuels marginalisés par le régime s’installent en Europe… De plus en plus de femmes partent : la vie est trop dure au village. Pas de respect, pas de terres, une soumission permanente, une vie sans devenir… Pourquoi rester ? Les jeunes s’en vont : ils ne veulent plus de cette épouse qu’on veut leur imposer ; ils voudraient jouir du fruit de leur travail ; ils voudraient échapper au cycle "marché/funérailles/dolo" de la saison sèche, une vie balisée, sans avenir … Pourquoi rester ?

Rien ne les retiendrait donc au pays ? "Nos dirigeants confondent servir et se servir. A force de se servir, ils ont tout accaparé dans nos Etats : l’administration, le commerce, l’industrie. Comment ne pas aller chercher le mieux-être ailleurs ? Nos dirigeants sont responsables de l’émigration. Ils n’ont et ne veulent pas de solutions" (lu dans un yahoogroupe sur l’immigration). Il est vrai que ça les arrange bien que les forces vives, celles qui pourraient le plus les contester, s’en aillent… "Cela préserve les équilibres" comme je le lisais dans une analyse du phénomène.

Il y a 14 millions d’habitants au pays… quatre millions et demi au dehors : est-ce normal ? Pourquoi sont-ils partis si nombreux ? Alors qu’il y aurait tant de possibilités au pays si un petit effort était fait (foncier, investissements ruraux, micro finance, véritables politiques de production, de distribution et de transformation…) ! Et ils partent pour être à la merci de toutes les crises et de toutes les xénophobies, 300 000 ne sont-ils pas rentrés de Côte d’Ivoire en 2002 avec un silence assourdissant des autorités ? Et quand un pays voisin décrète l’expulsion des étrangers, il faut partir…

Et quand Sarkozy les réexpédie scotchés et ligotés par Air Expulsion (Air France), pas un seul chef d’Etat ne proteste, sauf Bongo, mais ça n’a pas duré longtemps. Expulser 25 000 sans papiers par an, ce n’est même pas une politique, c’est un mauvais slogan électoral pour l’extrême droite ! Jusqu’où nos dirigeants accepteront-ils cette humiliation des ressortissants de nos pays, eux qui ne proposent rien en échange aux migrants.

Pourtant, l’Europe voudrait ouvrir (de gré ou de force) nos marchés et elle nous dit mensongèrement qu’elle nous ouvre les siens ; l’Europe nous impose la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services pour nous écraser autant qu’elle le peut, tout en diminuant sans cesse son aide

Pourtant, on oublie souvent que la circulation de l’argent, des services et des biens, cela relève de vulgaires accords commerciaux soumis à variation, au gré des circonstances économiques.


Par contre la libre circulation des personnes, le droit de s’installer dans un autre pays, c’est un droit humain fondamental garanti par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 dans son article 13 :

"1.Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays."

Ce sont les plus riches qui veulent exclure de l’accumulation des richesses tous les plus pauvres de la terre qui sont alors invités à rester chez eux… Ne vous inquiétez pas, les riches, eux, peuvent continuer à voyager.

Les néo-libéraux ne veulent surtout pas ouvrir "leur marché du travail" dont pourraient profiter tant de gens ici, alors même que ça profiterait aussi à leur économie (le rapport Attali l’affirme pour la France). Les migrants pourraient alors envoyer au pays des sommes très importantes qui les libéreraient de l’aide humiliante qu’on ne cesse de leur rappeler et dont ils profitent très peu.

Mais justement ce marché-là, le marché du travail que les migrants souhaitent voir s’ouvrir, c’est celui-là qu’on leur refuse et auquel continuent à rêver tant de jeunes comme celui qui m’a interpellé : "Mon père, il faut nous laisser partir…"

Faut-il partir ? Faut-il rester ? Pourquoi partir ? Pourquoi rester ?



Père Jacques Lacour
BP 332 Koudougou
jacqueslacourbf@yahoo.fr

mardi, 15 avril 2008

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