mercredi 3 septembre 2008

Liberté, ils ont oublié ton nom

Liberté, ils ont oublié ton nom

Par Serge Portelli, magistrat et vice-président du Tribunal du Paris

Cet article est paru cette semaine dans le magazine "Les Inrockuptibles" (n°648 du 29 avril 2008)


Trop de gardes à vue! Trop de prisons! Trop de reconduites à la frontière! Trop de lois liberticides! Les mesures du gouvernement Sarkozy en matière de justice, de police, d’immigration sont de plus en plus fraîchement accueillies. Pétitions, manifestations, grèves, articles vengeurs, blogs sarcastiques, livres décapants, films assassins... on ne compte plus les lieux d’une protestation souvent véhémente contre une politique plus qu’ inquiétante pour la démocratie et les libertés. Des principes qu’on croyait établis depuis des lustres, des valeurs qu’on imaginait partagées depuis des siècles, volent en éclat d’un mot, d’une phrase, au détour d’une déclaration, d’une émotion du président de la République. On pensait établi, depuis la nuit des temps, qu’on ne jugeait pas les fous. Erreur! On avait cru lire dans quelques déclarations de droits qu’il fallait punir les auteurs d’un crime ou d’un délit défini par la loi et non pas ceux que l’on estimait “dangereux”. Périmé! On était certain, en France, depuis la Révolution française, et aujourd’hui dans tous les pays du monde, qu’on n’appliquait pas une loi pénale à des faits commis avant son entrée en vigueur. Vieillerie que cette non-rétroactivité des lois! On était bien certain qu’il fallait pour les enfants et les adolescents une justice particulière. Berlue! On croyait le secret professionnel intangible, pour les professionnels de l’enfance, les avocats, le personnel médical en prison. Mauvaise pioche! Toute peine devait prendre en compte l’individu coupable autant que l’acte commis: l’individualisation était un acquis constitutionnel, non? Non! Peine-plancher! On avait cru lire au fronton des bâtiments publics que nous étions tous libres, égaux et fraternels et que le concept d’identité nationale datait de Vichy. Illusion de notre mémoire! Qui nous avait dit que le droit d’asile était sacré? Qui nous avait dit qu’une atteinte aux libertés (garde à vue, reconduite à la frontière) n’était possible que lorsqu’elle était strictement nécessaire et non lorsqu’elle permettait d’atteindre un chiffre arbitrairement fixé par le pouvoir?

Face à un rouleau compresseur de “réformes” qui détricotent une à une nos libertés des voix s’élèvent donc, y compris à l’étranger, pour rappeler à la France qu’elle n’a vraiment plus aucune leçon à donner. La patrie des droits de l’homme les a relégués au fin fond d’un petit secrétariat et ressemble de plus en plus à une société sous très haute surveillance. Le Monde titrait la semaine dernière sur l’explosion du nombre de gardes à vue en France. Mais les chiffres sont connus depuis longtemps. Ils deviennent simplement plus concrets lorsque des proches subissent sans nécessité et parfois à tort cette procédure archaïque et si peu contrôlée. Depuis très exactement 2002, le nombre de ces gardes à vue augmente chaque année en moyenne de 37.000 environ. Nous sommes passés de 337.000 en 2001 à 560.000 en 2007! Le plus étonnant est que ces chiffres sont présentés par nos ministres de l’intérieur dans des bulletins de victoire, comme des signes d’efficacité alors qu’on nous promet officiellement “la fin de la culture de l’aveu” et que les erreurs judiciaires à la suite de faux aveux se multiplient.

Les prisons regorgent de détenus: les syndicats pénitentiaires dénoncent une situation intenable et qui est source de drames croissants: violences entre détenus ou sur les surveillants, suicides, meurtres parfois. 63211 personnes détenues au 1er avril 2008. Depuis 2002, la population pénitentiaire a augmenté de près de 14.600 personnes, soit une augmentation moyenne par an de 2300 personnes. Depuis août 2007, date d’entrée en vigueur de la loi sur les peines plancher, cette augmentation s’accélère.


Les centres de rétention sont bondés. Le dernier rapport du 24 avril, de la Cimade, seule organisation civile à y être présente, est accablant. 35.000 étrangers ont été placés dans ces centres dont 242 enfants, majoritairement de moins de 10 ans. L’association dénonce “l’industrialisation du dispositif d’éloignement des étrangers en situation irrégulière” et les “effets dévastateurs” de la politique de quotas chiffrés d’expulsions imposée par le président de la République, mise en oeuvre par le ministre de l’identité nationale et exécutée avec zèle par les préfectures. Destruction des familles, suicides, défenestrations...

Evidemment la France vit toujours en démocratie. Cette politique ne touche, à de rares exceptions, que les plus pauvres d’entre nous qui ont difficilement accès à la parole et au droit. Regardez qui va en prison, qui peuple les centres de rétention, qui se retrouve en garde à vue. Il est très facile de ne rien voir, de ne rien entendre. Il est possible de croire que les atteintes aux libertés continueront de ne toucher que ces classes de population dites dangereuses. Il est si facile de s’imaginer du bon côté, celui des gens honnêtes, celui des victimes potentielles de toutes ces déviances.

Comment ne pas voir que ces “réformes” grignotent jour après jour nos valeurs fondamentales et notre République? Que ces mauvaises graines semées aujourd’hui germeront un jour peut-être proche. La France vit une ère de paix et de calme intérieur relatif. Il suffit de regarder le monde tel qu’il est pour comprendre que ce temps ne durera pas. C’est alors que nous mesurerons l’étendue des dégâts, mais il sera trop tard.

Protester donc. Défendre pied à pied les libertés et l’état de droit en tâchant d’expliquer à chaque fois pourquoi ces garanties existent, qu’il ne s’agit pas de défendre les “voyous”, de légitimer les “monstres”, de se mettre “du côté des assassins”, mais de défendre les garanties d’une vie démocratique de chacun d’entre nous. Ce message est très difficile à faire passer car il s’inscrit dans un contexte idéologique fort, une sorte de pensée unique attisée par les peurs, l’exploitation permanente et démagogique de la souffrance de victimes et l’utilisation sans vergogne du mensonge.

La situation politique actuelle en France se caractérise par une défiance peu commune vis à vis du politique. Le désenchantement est arrivé très vite, à mesure que les promesses se heurtaient à des réalités économiques, budgétaires et sociales indiscutables. On peut certes dissimuler sous le tapis quelques milliers de chômeurs, on peut faire croire que la croissance sera de 2,5%, que le niveau du pouvoir d’achat n’a pas trop baissé... mais l’opinion publique peut constater chaque jour qu’il n’en est rien. Il reste un dernier carré où le mensonge est possible: celui de la sécurité. On peut toujours faire croire que la tolérance zéro est efficace, que la meilleure prévention est la répression, que l’enfermement est la meilleure arme contre la criminalité, que la détection précoce dès trois ans des bambins turbulents nous sauvera de la délinquance juvénile, que les récidivistes sont la cause 50% de la délinquance, qu’il suffit de voter une énième loi pour régler les problèmes, etc...

La tâche est donc plus rude que jamais. Défaire un à un ces mensonges, montrer qu’une autre politique est nécessaire, plus efficace et plus respectueuse des libertés, qui fasse appel à l’intelligence et non à la peur.

http://chroniquedelhumaniteordinaire.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/05/01/l...

samedi, 3 mai 2008

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