lundi 29 septembre 2008

les pauvres assignés à résidence

Droit dans les yeux

Migrations : les pauvres assignés à résidence

Pendant trois jours pleins, les 11,12 et 13 septembre, j’ai participé au Troisième Forum Social Mondial des Migrations, à Rivas, dans la banlieue de Madrid, en Espagne. Ce Forum a réuni près de 3 000 participants appartenant à plus de 2 000 organisations et venant de 90 pays différents. 40 personnes pourtant, essentiellement originaires d’Afrique, n’ont pas obtenu leur visa pour participer à cette manifestation.

Pendant trois jours, nous avons entendu le cri des migrants qui, sur toutes les routes du monde, sont aujourd’hui menacés.

Les migrations ont toujours existé, elles existeront toujours ; elles sont inscrites dans la nature profonde de l’humanité. Mais aujourd’hui, elles sont amplifiées par l’immense écart de richesses qui se creuse entre les pays et dans les pays.

« Dans les conditions actuelles du capitalisme mondial, les personnes migrantes sont un exemple évident de l'inégalité économique et sociale entre les pays et au sein des pays. Cette situation est aggravée par une crise mondiale et multidimensionnelle: économique, environnementale, alimentaire, et de l'énergie. »

Les migrations Sud-Sud sont les plus importantes, mais ce sont les migrations Sud-Nord qui font le plus parler d’elles :

De l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord, il y a tant d’horreurs sur les routes de l’exil et aux frontières. La frontière entre le Mexique et les Etats-Unis est le principal couloir migratoire du monde, et le Mexique s'affirme comme le pays qui a le plus d'émigrés économiques au monde. En cinq ans, plus de 10 millions de personnes ont franchi cette frontière longue de 3.000 km qui est pourtant dotée d’un des systèmes de surveillance le plus développé du monde.

Mais c’est souvent parce qu’ils ont été chassés de leurs terres qu’ils partent vers le pays de l’oncle Sam !
« Non à la migration forcée des peuples autochtones en raison de l’expropriation et de l'exploitation de leurs terres et à l'augmentation des projets agro-industriels qui ont pour conséquence la perte de leurs racines et la destruction de leur culture. »

Je me suis retrouvé dans un groupe de travail où des femmes colombiennes ont témoigné de leur calvaire et de leur engagement jusqu’à raconter les assassinatsdes militants des droits de l’homme : c’était poignant.

De l’Afrique vers l’Europe. Du Sahel à la Côte : C’est il y a 20 ans que furent recensés les premiers morts dans le détroit de Gibraltar… A Rivas, nous nous en sommes souvenus longuement…
S’ils partent ainsi, si nombreux et acceptant les risques effrayants du désert ou de la mer, c’est pour survivre, pour aider leurs familles restées au pays à ne pas mourir, pour tenter leur chance dans l’espoir d’un avenir meilleur.

C’est invraisemblable que les autorités européennes soient totalement sourdes à ces cris qui montent vers elles.
Mais leur départ, c’est aussi la faillite de 50 ans d’ « indépendance » (ou de néo-colonialisme). C’est la faillite de projets et de politiques de développement qui n’ont fait qu’enrichir leurs promoteurs. C’est la faillite d’une classe politique incompétente préoccupée de sa seule promotion sans avoir jamais été capable de promouvoir une vision du pays où tous trouveraient leur place.

C’est la faillite de l’élite qui a abandonné l’agriculture, se livre aux multinationales, signe les accords de libre-échange…

Plus de 4 millions de Burkinabè hors du pays pour 14 au pays, n’est ce pas un aveu d’échec ?

Un professeur d’Université de RDC (Congo) nous a montré comment dans son pays, il faut fuir la guerre, il faut fuir les multinationales, il faut fuir les rébellions, il faut fuir la débâcle économique.

Des Philippines au Moyen Orient : une migration féminine, souvent très proche de l’esclavage.
« Non à la reproduction et au renforcement d'un système patriarcal qui, dans le contexte de la féminisation de la migration, a conduit à une profonde disparité dans ce qui était déjà une grande inégalité entre les sexes, en raison notamment du fait que les femmes sont principalement employées dans des conditions proches de l'esclavage, en accomplissant les travaux domestiques et les soins à la personne. »

Pendant trois jours, nous avons réclamé pour tous les migrants les mêmes droits que pour tous les hommes, là où ils sont.

Et de nombreux instruments existent déjà, au niveau international, qui pourraient être les bases de l’égalité des droits entre « migrants » et « nationaux ».

L’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’homme qui fonde le droit fondamental de la libre circulation des personnes. Tant de pays ont signé et ratifié cette déclaration, mais sans qu’elle n’entre vraiment dans les législations. Une affiche m’a beaucoup touché qui disait : « Si les capitaux peuvent franchir les frontières sans aucun contrôle ni passeport, pourquoi pas nous ? »

Les conventions 97 et 143 de l’OIT (Organisation Internationale du Travail) qui suppriment toutes les discriminations entre travailleurs nationaux et étrangers. Alors, que veut dire, par exemple, le système français qui accueille de nombreux médecins étrangers qui ne lui ont rien coûté en formation et qui sont moins payés en travaillant plus sous le seul prétexte de leur nationalité ? Hors la loi, tout simplement !

Il existe aussi une convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Mais ni les Etats-Unis, ni les Etats de l’Union Européenne ne l’ont ratifiée. Signatures et ratifications sélectives au détriment toujours des droits des plus pauvres.

Si au moins, ces trois instruments étaient intégralement mis en œuvre, déjà il existerait un cadre juridique plus favorable qui rendraient impossibles les énormes atteintes aux droits de l’homme qui balisent la route et la vie des migrants.

Ainsi, de la « directive européenne du retour » ou « directive de la honte » qui prévoit l’arrestation et la détention jusqu’à 18 mois, des migrants, hommes, femmes, enfants ! Mettre des enfants en prison parce qu’ils n’ont pas de papiers, on est où, là ?

Nul ne sait non plus tout ce qui se passe aux frontières, dans les commissariats les centres de transit et de rétention ; mais les « bavures » et les atteintes aux droits y sont innombrables, sans toujours parvenir aux oreilles du grand public. L’ « étranger » est si vulnérable !

Les politiques actuelles favorisent de fait les migrations clandestines puisque les autres formes de migration légale sont interdites pour le plus grand nombre ; sauf l’immigration choisie de Sarkozy qui s’apparente à la traite des cerveaux). Les migrations clandestines multiplient les zones et les situations de non droit, les situations d’exploitation ou les situations absurdes (employés réguliers sans papiers, personnes non régularisables, mais non expulsables, etc.…)

Pendant trois jours, nous avons imaginé le monde autrement, et proposé des alternatives pour un monde sans barrières, sans frontières et sans murs.

Un premier travail essentiel consiste à montrer que ce qu’on nous raconte habituellement sur les migrations est faux ; l’essentiel des migrations se fait de pays du Sud à pays du Sud ; Les migrants qui viennent au Nord ne sont pas les plus nombreux. Le migrant est un homme dynamique dont la formation n’a rien coûté et qui participe activement à la création de richesse pour le pays qui accueille.

Grâce aux migrants qui ont existé depuis les débuts de l’humanité, les brassages et les métissages créent cette humanité nouvelle ouverte aux nouveautés, aux mouvements, aux cultures, à la diversité.

Tout homme, toute femme a le droit pour des raisons personnelles ou autres de chercher ailleurs une vie meilleure. Et ce droit fondamental ne doit jamais lui être refusé si aucun délit n’a été commis.

Une analyse géographique, historique et économique montrerait vite que sans les migrations, notre monde n’en serait pas là où il est aujourd’hui.

Aujourd’hui, les nations riches et puissantes voudraient assigner à résidence les nations les plus pauvres, tout en continuant à piller leurs richesses, à les exproprier de leurs terres et à les écraser par des accords de libre échange injustes.

Il a été souvent rappelé que les nations riches, surtout européennes, ont une mémoire historique très courte, elles qui ont envoyé tant de migrants en Amérique quand les temps étaient plus difficiles !

Mais malgré toutes les restrictions, malgré toutes les répressions, malgré tous les emprisonnements, des hommes et des femmes continueront à chercher un peu de mieux être là où la richesse s’est accumulée. Aucune barrière ne les en empêchera. Il faudrait être stupide pour croire qu’il peut en être autrement.

Un premier et immense défi est d’abord, pour les peuples d’origine de la migration, de se réapproprier leurs richesses, le pouvoir politique et économique pour rendre possible une autre organisation sociale, un autre partage des richesses qui permette à chacun de pouvoir rester dans son pays s’il le désire.

Il serait temps aussi de prévoir et de mettre petit à petit en place un monde où les nationalités et les frontières, sources perpétuelles de conflits, s’estomperaient pour une citoyenneté universelle, où chacun deviendra un habitant de la terre, où chacun pourra résider là où il veut.

A resurgit ainsi l’idée d’ « un passeport universel » basé sur le principe que toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence dans un pays. (N’a-t-on pas déjà inventé le « permis de conduire international » ?)

Une « charte universelle des migrants » est aujourd’hui en cours de rédaction avec la participation de correspondants dans le monde entier, qui rétablit la vérité sur les mouvements de population dans le monde et propose une vision plus humaine et plus respectueuse des droits de tous, à commencer par celui de la libre circulation.

Que Dieu nous aide à faire aboutir toutes ces idées et projets pour un monde plus fraternel, plus convivial, plus libre, où les pauvres ne seront plus assignés à résidence.

A Koudougou, le 25-9-2008

Père Jacques LACOUR. BP 332 Koudougou

jacqueslacourbf@yahoo.fr

Note : Une déclaration a été adoptée à la fin de ce forum, que vous pouvez trouver à l’adresse suivante : http://jacques-lacour.blogspot.com/2008/09/deuxime-dclaration-de-rivas-13-9-2008.html le site même du forum est ici : http://www.fsmm2008.org/


publié dans l'édition électronique du journal Le pays du 29-9-08, rubrique "droit dans les yeux

Aucun commentaire: