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Le printemps africain viendra-t-il des prélats?
En RDC, au Nigeria et ailleurs, ils désavouent haut et fort les régimes corrompus, raconte
Christine von Garnier, active dans les réseaux missionnaires.
En République démocratique du Congo (RDC), l’Eglise catholique entre en résistance. La Conférence épiscopale nationale du Congo a déclaré jeudi 12 janvier que «le processus électoral a été entaché de graves irrégularités qui remettent en question la crédibilité des résultats». Il avait donné la victoire au président sortant, Joseph Kabila. Les évêques mettent surtout en cause la Commission électorale et lui demandent d’avoir le courage de se remettre en question, de corriger impérativement les graves erreurs qui ont entamé la confiance de la population en cette institution, sinon de démissionner. En même temps, le clergé de Kinshasa a lancé un appel à des actions non violentes de désobéissance civile pour le rétablissement de la légitimité et de la légalité du pouvoir. Il est appuyé par les Associations de supérieurs majeurs des ordres religieux qui exigent l’annulation des élections du 28 novembre, et demandent à la communauté internationale de ne pas reconnaître le gouvernement
du Congo. Aux dernières nouvelles, la publication des résultats a été reportée sine die.
Le vent des révolutions arabes est donc arrivé jusque-là. Mais ce n’est pas tout: en novembre, le pape Benoît XVI a remis aux évêques africains l’exhortation apostolique rédigée par l’Assemblée du synode des évêques pour l’Afrique en 2009, leur recommandant de s’engager pour la réconciliation, la justice et la paix au-delà des clivages ethniques. Etonnant Benoît XVI, très conservateur théologiquement, mais qui exhorte à un engagement politique!
Si le prestige presque sacré des «vieux chefs» rend les prélats africains souvent redoutables pour les dictateurs en place, leur rôle ressemble parfois à une mission impossible: être la voix des sans-voix, dire ce qui ne va pas dans la société et risquer sa vie. Plusieurs d’entre eux ont néanmoins adopté des positions en pointe contre les violences religieuses, les fraudes politiques et économiques, conformément aux directives du Vatican. Ils sont parfois associés à des Eglises protestantes locales et même à des imams modérés.
Ainsi en RDC, le cardinal Lauren reconduisant Joseph Kabila, comme «conformes ni à la vérité, ni à la justice». Au Nigeria, le cardinal de Lagos Anthony Okogie et de Abuja, Mgr John Onaiyekan, ont clamé haut et fort qu’il n’y avait pas de guerre de religion, coupant court aux appels à la vengeance et critiquant les faiblesses du gouvernement pour sa politique économique. Au Sénégal, le cardinal Adrien Sarr a critiqué le gouvernement de ne pas en faire assez pour la paix en Casamance et la Conférence des évêques a déjà mis en garde le gouvernement en vue des prochaines élections. Au Burkina Faso, Mgr Philippe Ouédraogo a indiqué que les évêques s’opposaient à une révision de la Constitution qui permettrait au président Blaise Compaoré de briguer un nouveau mandat.
Au Cameroun, le cardinal à la retraite Christian Tumi, non suivi par les autres évêques, dénonce la corruption du régime du président Paul Biya. Il a reçu en novembre le Prix de l’intégrité de l’ONG Transparency International. En Ouganda, l’évêque de Kampala, Mgr Cyprian Kizito, critique avec force la corruption, la violation des droits de l’homme et les mauvaises lois qui contredisent le message de paix, de justice et de réconciliation délivré Noël passé. Dans ce même pays, l’évêque anglican Mgr Luke Orombi parle d’un pays corrompu, superstitieux et immoral. Au Soudan, Mgr Macram Max Gassis, évêque d’El Obeid, pousse un cri d’alarme et dénonce le risque d’un nouveau génocide par le gouvernement de Khartoum qui veut arabiser et islamiser les populations des monts Nouba par tous les moyens, y compris les armes chimiques.
Au nouveau Soudan du Sud traumatisé par des années de guerre, les évêques s’inquiètent des conflits internes et invitent le gouvernement et tous les citoyens à travailler en faveur de l’unité et de l’intégration. Et que dire de l’évêque anglican Desmond Tutu (Afrique du Sud), qui a dit prier pour la chute du président Jakob Zuma à cause de sa mauvaise gouvernance comme il avait prié pour la chute du régime de l’apartheid!
Mais ces exemples ne doivent pas cacher les divisions. Certains évêques mènent grande vie et sont parfois démis pour corruption et affaire de mœurs, comme ces dernières années les anciens archevêques de Cotonou et Bangui. D’autres ont des liens avec le pouvoir (liens de parenté, pots-de-vin), avec leurs ethnies ou parfois avec des gouvernements étrangers qui peuvent les manipuler. Au Gabon, les évêques sont dociles face au président Ali Bongo; en Côte d’Ivoire, ils sont apparus très divisés face à la récente crise politique. Les laïcs, de mieux en mieux formés et informés par les médias comme le sont les révolutionnaires arabes, s’organisent aussi.
Tels sont les signes annonciateurs d’une résistance des populations sur le continent africain, lui aussi touché par l’onde de choc mondiale contre les dictatures anciennes et nouvelles, déguisées en pseudo-démocraties favorisées par des multinationales, des Etats étrangers ou des militaires. Il faut soutenir ce mouvement notamment par la formation à la citoyenneté responsable, par des relations commerciales plus justes, et des règles juridiques contraignantes pour les multinationales dans les domaines sociaux, environnementaux et financiers.
© 2012 Le Temps SA
Jeudi 26 janvier 2012
Par Christine von Garnier
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