RAPPORT DE FORCES PRODUCTEURS/COMMERÇANTS
Un enjeu de développement
Tout récemment, en France, les producteurs de lait se sont vus imposer par les industriels de la filière une baisse unilatérale du prix d’achat du lait. Réaction immédiate des producteurs qui bloquent les usines des industriels, les contraignent à des négociations, obtiennent une augmentation des prix et cherchent à mettre en place aujourd’hui un mécanisme de fixation des prix qui respecte les intérêts de chacun.
Ici, au Burkina, les "cartels" de commerçants, les "ententes illicites" et les "monopoles" tuent tout simplement de nombreuses filières de production ou contraignent les producteurs à vendre leurs produits, à des prix non rémunérateurs ou même en dessous des coûts de production.Nos autorités ont choisi le système libéral pour gérer le pays, en imposant à tous "les lois du marché" et de la "libre concurrence". Mais le drame, c’est qu’elles n’ont ni les moyens, ni le courage, ni la volonté de faire appliquer le minimum des règles mêmes de ce système : interdiction des cartels, des monopoles, des ententes illicites, de la concurrence faussée… Les liens très étroits (personnels et structurels) entre le monde politique et le monde des affaires semblent au contraire favoriser ce genre de pratiques qui s’apparentent plus à la "loi de la jungle" qu’au "commerce libéral".
Il en a été ainsi de la filière sésame, il y a quelques années, où les producteurs réunis en cartel avaient carrément stoppé la production, tant les prix proposés étaient loin des coûts de production. Aujourd’hui, la filière est mieux organisée, a d’autres alternatives et peut mieux défendre ses intérêts.
Il arrive à certains commerçants burkinabè de se plaindre auprès des autorités pour reprocher à des opérateurs étrangers d’acheter directement sans passer par eux. Beaucoup de commerçants n’ont en effet pas encore compris que leur intérêt était de « partager » les bénéfices avec les producteurs et non de faire de grosses opérations spéculatives qui rapportent « du coup », mais laissent toute la filière dans la déroute.
Je ne parlerai pas du commerce des peaux… où les prix d’achat sont évidemment à la baisse. Quels recours ont les fournisseurs dans la situation que l’on connaît ?
Et qu’en sera-t-il des céréales quand les producteurs auront produit en quantité ? Quelles mesures seront utilisées pour mesurer leurs récoltes ? Quels prix rémunérateurs leur seront-ils proposés ? Pourront-ils manger, se soigner et envoyer leurs enfants à l’école avec le fruit de leur travail ? Alors que d’autres, avec le fruit de leurs mesures truquées et de leurs opérations frauduleuses, se constituent des fortunes. A quand "des mesures universelles" pour mesurer le grain ? N’est-ce pas le rôle "régalien" de l’Etat, même en régime libéral !
Dans un tel contexte, le grand défi pour les organisations paysannes est:
- soit de contrôler toutes leurs filières de production, de A à Z, (production, transport, transformation, commercialisation) sans passer par les commerçants dont ils auraient désespéré,
- soit d’instaurer – avec l’appui des structures d’Etat comme arbitres – des mécanismes de fixation des prix qui respectent les intérêts des uns et des autres.
On est très souvent découragé de voir que la seule loi du plus fort, la loi de la jungle, la loi des cartels, monopoles et ententes illicites est en vigueur contre les producteurs, qui, à la récolte de leurs produits, n’ont plus que leurs larmes pour pleurer devant la rapacité de certains commerçants.
Dans ces conditions, un vrai développement n’est pas pour demain.
Père Jacques Lacour,
jacqueslacourbf@yahoo.fr
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