mardi 12 mai 2009

Droit dans les yeux: carnet de visites

Droit dans les yeux: carnet de visites

Il n’y a pas un moment où, en visite quelque part, les gens ne me confient leurs soucis, ne me disent ce qui les préoccupent, ne m’interpellent sur leurs situations.

Visite dans la vallée du Sourou. J’écoute ce qui se dit :

A Nyassan, les gens ont vu arriver, selon l’ordre du Premier Ministre, le directeur de l’AMVS
(Autorité de l’Aménagement et de la Mise en Valeur du Sourou) et tous ses agents. Si le directeur est là « permanemment », il semble que ses agents font de temps en temps acte de présence : une heure par ci, un jour par là… et ils repartent à Ouaga, tant ils s’ennuient sur place au Sourou ; le travail des paysans ne les intéressent pas et ils n’ont rien à faire. De fait, l’AMVS ne sert à rien, sinon à percevoir les taxes sur les petits paysans et peut être aussi sur les « grands », mais là, rien n’est sûr, tant la gestion est opaque…
De grands projets supplémentaires sont prévus au Sourou : au Nord financés par les américains (qui exigent l’électrification), à l’Ouest financés par les arabes… L’eau suffira-t-elle ? Il paraît que oui ; mais les paysans savent que ce n’est pas sûr du tout… L’eau a déjà manqué et ruiné des récoltes et eux avec.

Les hippopotames sont protégés, c’est bien ; mais il y a eu trois morts d’hommes en quelques semaines, n’y a-t-il pas urgence à faire quelque chose ? Il ne s’agit pas seulement de récoltes gâtées ou de champs dévastés, il s’agit de morts d’hommes. Je lis une immense tristesse sur le visage de ceux qui me rapportent ces faits : les hippo valent ils plus que les hommes ? Soumission à des choix qui les dépassent et qu’ils ne comprennent pas.

Le prix des intrants ne cesse d’augmenter et cela décourage profondément les paysans qui, pourtant, aiment produire, travailler la terre pour nourrir le pays. Pourront-ils rester longtemps ? Beaucoup disent ne pas le savoir. Mais que faire d’autre ?

A Diedougou, le dirigeant de la coopérative qui a ruiné la moitié du périmètre par une gestion jalonnée d’incompétences et de malversations est à Ouagadougou, à l’abri de toutes poursuites. Les paysans auraient bien voulu le convoquer à la gendarmerie pour lui demander des comptes ; mais la gendarmerie a été priée de ne pas se mêler de la gestion de ce monsieur, de ne rien intenter en ce sens. Entre impuissance et découragement, les paysans ne savent plus à qui recourir et ils sont dissuadés de connaître la vérité… Qui donc en haut lieu a intérêt à protéger ce monsieur ? Une sombre histoire de famille ou de politique... Une solidarité dans les détournements... Où sont les dizaines de millions qui manquent et qui empêchent la production de repartir ?

Visite à Ye, dans le Sud du Nayala : j’écoute et je regarde.

En allant là-bas, je suis très touché : il n’existe plus de brousse, tout n’est plus que champs et villages. Y aura-t-il de la place pour tous demain ? Beaucoup de ceux à qui je parle ne sont pas des plus optimistes pour l’avenir.

Le maire n’habite pas ici. Grand absent de sa ville. Il réside ailleurs comme 70% des maires élus dans le cadre de la « communalisation intégrale » ; je préfère d’ailleurs souvent dire dans le cadre de la « CDPisation intégrale ». Je comprends mieux certains mécanismes qui ont joué, en particulier deux entendus dans les conversations :
= « si tu ne votes pas CDP, si vous ne votez pas CDP, vous n’obtiendrez rien ni pour votre commune, ni pour vous ».
= « Si tu critiques, si vous critiquez le PF, le PM ou le CDP, si vous parlez ‘mal’… on peut vous enfermer ».
Avec ces deux peurs là, pas difficile de rafler la mise et de mettre partout des « maires non résidents CDP », plus passionnés des grandes villes que de leurs communes, bien asservis au pouvoir central, et qui ne feront rien bouger qui ne soit « dans la ligne ».

Pour les élections prochaines, j’en profite pour expliquer au groupe avec qui je discute : « Prends tous les cadeaux qu’on t’offre, l’argent, les T-shirt, les casquettes, prends tout, tu en as besoin. Mais reste libre de voter pour qui tu veux : Quelqu’un peut il t’acheter. Non, tu n’es pas à vendre. Et puis, vote selon ton cœur. Celui qui a tenu ses promesses, tu peux voter pour lui ; celui qui défend les paysans, tu peux voter pour lui ; celui qui peut te fournir l’engrais à 12.000 F le sac – ils peuvent si ils veulent --, tu peux voter pour lui… »
« Mon père, c’est dommage que tu ne restes pas plus longtemps pour nous expliquer… »

Une chose m’effraie, ici, comme dans beaucoup de villages, c’est l’ « alcoolisation » des campagnes. Le « Sopal » se déverse sur le pays par barriques entières… Que cherche l’administration en laissant faire ainsi ?
Le dolo, le raam ne suffisent ils plus pour faire oublier les douleurs de la vie, un avenir que l’on pressent trop difficile ou complètement bouché ?

Et pourtant que de bonheur dans les rencontres, que de joie sur les visages.
Vient le moment de se quitter…
« Père, tu ne nous oublieras pas ? »
Comment pourrais-je vous oublier, vous, avec qui j’ai partagé les meilleures années de ma vie ?

Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)

jacqueslacourbf@yahoo.fr


Paru dans l'édition du journal Le Pays du mardi 12 mai 2009, rubrique "droit dans les yeux" et dans l'édition électronique

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