AUX DESSINATEURS DE
CHARLIE HEBDO
Cher Jean, cher Georges, cher Stéphane, cher Bernard,
Bien que je sois prêtre et que cet état par le passé vous
débectait, permettez-moi de vous appeler par vos prénoms et non par vos noms de
guerre. Une façon comme une autre de me sentir votre frère. Certes, vous
demeurez Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, dessinateurs de profession,
crayonneurs d'idées, trublions de vie politique, insulteurs de justes et de
coupables, souvent drôles et méchants sous le crayon vulgaire et
obsessionnellement blasphémateur du sacré, mais à mon esprit éduqué par le
Christ à dépasser les apparences, vous apparaissez plus grands que votre œuvre,
plus grands que vos dessins offerts aux combats rétrécis de la terre. Seule la
bonté personnelle qualifie un être et l'ennoblit jusqu'à la moelle, je le
crois, et pour cela, je mourrais. Tout le reste n'appartient qu'à la petite
histoire qui finit sous le dégueuloir conventionnel des hommages et des
récompenses accordés entre hommes, au gré des intérêts particuliers et des
partis. Bah ! que tout cela est bas !
Aujourd'hui, préoccupé par plus haut, maintenant que la vie n'est
plus un mystère pour vous puisque vous connaissez la vérité tout entière (et
Dieu sait si cette connaissance doit désormais susciter en vous non plus votre
humour mais votre joie), je viens vous demander un petit coup de main pour la
France. Ne me le refusez pas.
Amis, auriez-vous la gentillesse de dire un mot au créateur du
monde afin qu'il continue de juger avec indulgence ses enfants d'en bas qui le
rejettent ou qui prétendent le défendre en tuant leurs semblables ? Faites cela
pour nous, je vous en supplie ! Que le Ciel n'abandonne pas la terre, et que
les hommes comprennent enfin que travailler à la mort de Dieu dans les consciences
ou tuer au nom de Dieu revient à massacrer l'homme lui-même ! Pourriez-vous
aussi de vos lumières actuelles éclairer nos intelligences de manière à ce que
nous empruntions les chemins par lesquels on peut enrayer les fusils les plus
huilés ?
Je vous avoue qu'une chose me surprend depuis votre entrée dans la
vie éternelle : c'est la glorification unanime de la liberté d'expression que
vous auriez honorée magnifiquement jusqu'à mourir pour elle ! Je dirais plus
sobrement que vous avez exprimé librement ce que vous pensiez sans jamais vous
préoccuper des effets collatéraux que l'expression de VOTRE vérité pouvait
créer dans les esprits. C'est ainsi. Pourtant, dans les relations humaines, et
en particulier dans la vie conjugale, familiale, et même amicale, nous ne
lâchons pas ce que nous pensons sans exercer un certain discernement à la seule
fin de ne pas blesser inutilement nos proches. Et cela devrait valoir aussi
pour les lointains.
La raison de cette retenue n'est pas à chercher bien loin, elle
appartient à l'univers de l'amour qui tout simplement ne désire pas blesser.
Cette retenue dans le langage, cette réserve bienveillante n'est pas une
faiblesse, elle est une intelligence qui protège les liens et qui, en évitant
de faire monter le sang à la tête de l'adversaire potentiel, empêche par rebond
de le faire jaillir de la tête d'un autre. Cette réserve, tout homme peut la
vivre, elle est vraiment à la portée de tous, sauf de l'extrémiste qui donne
aux idées plein pouvoir y compris à l'irrespect qui, paraît-il, gagne la
partie.
Le président de la République n'a pas cessé ces derniers jours
d'appeler le peuple français à la vigilance. Encore une idée bien abstraite !
Que faut-il donc faire ? Rester chez soi ? Faire des provisions ?
Lire le Coran ? Souscrire à un abonnement à Charlie Hebdo ? J'aurais préféré
qu'il demandât humblement à tous les Français de calmer le jeu de la haine en
les suppliant de ne plus blesser la conscience d'autrui au nom d'une liberté
d'expression pas assez réfléchie, autrement dit, en nous invitant tous à
prendre la résolution de respecter profondément les croyances qui sont chères à
des millions de personnes. C'est à ce prix que la paix fera son lit.
Chers Jean, Georges, Stéphane et Bernard, votre mort ignominieuse
me fait une peine immense et je voudrais qu'elle ne soit pas inutile. Vos
caricatures ne méritaient pas de vous tuer, mais elles l'ont fait. D'une
certaine façon, vous avez touché de votre humour grinçant les régions les plus
viscéralement haineuses de la nature humaine assoiffée de justice et de
vengeance, et par là, vous avez provoqué l'avènement de la barbarie. Parce que
votre nature était saine, je veux le croire, parce que vous cherchiez sans
doute à votre manière le bien commun, parce que vous considériez la liberté
d'expression comme un droit devant s'exprimer sans état d'âme, parce que vous
étiez au fond restés des enfants qui dessinaient comme tous les enfants tout en
jouant à mettre le feu, vous avez oublié la permanence de la cruauté humaine
quand elle se met au service d'une cause jugée absolue. Vous avez touché à de
l'intouchable, et en réponse, vous qui étiez intouchables de par votre dignité
d'homme, vous avez été plus que touchés, abattus en plein cœur.
Au-delà de toutes les décisions politiques qui seront prises, je
l'espère, pour contrecarrer les actes terroristes, intercédez pour nous, chers
Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, rendez-nous intelligents et respectueux des
croyances d'autrui pour que la France se distingue encore par sa hauteur civilisatrice.
Un dernier point qui me tient à cœur : si vous croisiez au Ciel
les trois petits enfants qui, lors de l'affaire Merah, ont été assassinés
sauvagement, embrassez-les pour moi, et partagez avec eux la gloire qui est la
vôtre aujourd'hui. Eux n'ont pas eu droit à une journée de deuil national ni à
une manifestation d'envergure. Mais que pouvons-nous y faire ? Ces enfants ne
disposaient que de leurs prénoms, ils n'avaient pas de noms de guerre, et ils
ne défendaient pas la liberté d'expression ni la cause de certains politiques !
Qu'importe ! Seule la bonté personnelle qualifie un être et l'ennoblit jusqu'à
la moelle, je le crois. Pour cela, je mourrais.
Allez, chers Cabu, Wolinski, Charb et Tignous, soyez dans la joie
de Dieu, continuez votre vie, et éclairez-nous maintenant de vos clartés.
signé:
Père Zanotti-Sorkine Prêtre
catholique Prédicateur, écrivain, compositeur et chanteur
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