Droit dans les yeux :
Ne faudrait il pas créer « un grand ministère de l’agriculture, de l’élevage et de l’alimentation » ?
Lors d’un de mes déplacements récents dans le Sahel, j’ai été vivement interpellé sur la question des deux ministères différents et séparés de l’agriculture et de l’élevage.
Pourquoi, me demandait on, faut il absolument deux ministères alors qu’aujourd’hui, on ne voit plus un seul éleveur qui ne cultive pas, au moins un peu pour ses besoins personnels… et on ne voit plus un seul cultivateur qui n’ait pas aussi son élevage, certains seulement des chèvres et des moutons comme « caisse d’épargne » ou « sécurité sociale », d’autres de façon plus conséquentes en élevant des bœufs pour la culture ou plus…
De plus, ce sont les mêmes terres, les mêmes espaces que cultivateurs et éleveurs partagent depuis des siècles. Ils y vivent ensemble, ils y travaillent ensemble. Autrefois des équilibres s’étaient établis et les bêtes des éleveurs en divagant dans les champs récoltés assuraient une fumure organique non négligeable. Puis elles se retiraient dans les zones non cultivées pour la saison des pluies.
Bien sûr, les tensions existaient parfois, mais les espaces étaient assez grands pour que tous puissent vivre en paix. Aujourd’hui, les choses changent, la population a augmenté ; tous travaillent la terre d’une façon ou d’une autre ; tous pratiquent aussi l’élevage d’une façon ou d’une autre ; la pression sur les terres augmente. Et il ne faudrait pas que les « plans », les « programmes »,les « projets » élaborés en bureaux climatisés et venus de deux ministères différents ne viennent alimenter inutilement des tensions sur le terrain. Mes interlocuteurs m’ont donné plusieurs exemples flagrants où des projets pleins de bonnes intentions au départ ne faisaient qu’alimenter des difficultés de terrain parce qu’ils n’avaient pas été pensés en tenant compte d’une situation qui a beaucoup évolué ces dernières années et où culture et élevage sont maintenant profondément entrelacés et ne peuvent être compris l’un sans l’autre.
La suggestion est donc celle-ci : créer « un grand ministère de l’agriculture, de l’élevage et de l’alimentation » qui pourrait prendre réellement en compte les liens très profonds qui existent entre ces activités. Cultures traditionnelles des céréales, maraîchage, plaines irriguées produisant riz et maïs, riz pluvial, élevage, production de viande et de lait, culture et stockage du fourrage… et toute la chaîne alimentaire qui en découle.
Un tel ministère pourrait aider à trouver les équilibres entre toutes ces activités de production, à faciliter la gestion des terroirs, non plus vus dans une perspective de concurrence, mais dans une perspective de complémentarité pour une production nationale adaptée aux besoins des populations, pour une véritable souveraineté alimentaire dont l’urgence se fait sentir en ces temps de crises.
Se contenter de « borner » des terres pour en exclure les uns et les autres ou les uns ou les autres ne peut être une solution pour succéder à des temps où même la notion de divagation n’existait pas durant toute la saison sèche. Il serait bon qu’au niveau des ministères, les questions soient pensées ensemble pour élaborer des solutions qui intègrent toutes les facettes de ces difficiles questions…
A continuer à chercher chacun dans son coin des « projets » et des « PTF » (avant, on disait des « bailleurs », ça avait le mérite d’être clair), il y a bien un risque d’entrer en concurrence et de multiplier les conflits plutôt que de créer un cercle vertueux pour une agriculture/élevage capable de produire tout ce qu’il faut pour bien nourrir les burkinabè.
Peut-être même avant de produire du coton OGM qui ne fait que nous rendre un peu plus dépendants d’une seule multinationale et fragilise nos filières d’exportation.
Pouvoir manger à sa faim…
N’est ce pas là le premier « droit économique » d’un peuple ?
N’est ce pas le premier devoir d’un état : nourrir son peuple d’abord et veiller pour cela à des solutions durables qui impliquent tous les citoyens.
Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)
publié dans la rubrique "Droit dans les yeux" du Journal "Le Pays" du mardi 6 janvier 2009
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