07-02-2009
Trouvé dans le journal Le Monde (Article paru dans l'édition du 29.01.09).
envoyé par un confrère
Lettre ouverte de Jean-Moïse Braitberg
"Monsieur le Président, je vous demande de retirer le nom de mon grand-père, gazé en 1943 à Treblinka, du mémorial Yad Vashem dédié aux victimes juives du nazisme" : c'est par ces mots très forts que l'écrivain juif Jean-Moïse Braitberg s'est adressé en fin de semaine dernière au chef de l'Etat d'Israël Shimon Peres dans une lettre ouverte publiée par "Le Monde".
Jean-Moïse Braitberg est révolté par les conséquences de l'offensive israélienne sur Gaza, qui a fait 1.330 victimes palestiniennes dont 400 enfants, et plus généralement par le sort réservé aux populations arabes de Palestine depuis 60 ans. Il dénie à Israël le droit d'être "le centre de la mémoire du mal fait aux Juifs et donc à l'humanité toute entière". Un texte bouleversant qui brise un tabou et suscite évidemment des réactions dans le monde entier.
Le mémorial de Yad Vashem est un mémorial israélien à Jérusalem, en mémoire des victimes juives de la Shoah perpétrée par les Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Il a été établi en 1953 par la Loi du mémorial votée par le parlement israélien, la Knesset.
Monsieur le Président de l'Etat d'Israël, je vous écris pour que vous interveniez auprès de qui de droit afin que l'on retire du Mémorial de Yad Vashem dédié à la mémoire des victimes juives du nazisme, le nom de mon grand-père, Moshe Brajtberg, gazé à Treblinka en 1943, ainsi que ceux des autres membres de ma famille morts en déportation dans différents camps nazis durant la seconde guerre mondiale. Je vous demande d'accéder à ma demande, monsieur le président, parce que ce qui s'est passé à Gaza, et plus généralement, le sort fait au peuple arabe de Palestine depuis soixante ans, disqualifie à mes yeux Israël comme centre de la mémoire du mal fait aux juifs, et donc à l'humanité tout entière.
Voyez-vous, depuis mon enfance, j'ai vécu dans l'entourage de survivants des camps de la mort. J'ai vu les numéros tatoués sur les bras, j'ai entendu le récit des tortures; j'ai su les deuils impossibles et j'ai partagé leurs cauchemars.
Il fallait, m'a-t-on appris, que ces crimes plus jamais ne recommencent ; que plus jamais un homme, fort de son appartenance à une ethnie ou à une religion n'en méprise un autre, ne le bafoue dans ses droits les plus élémentaires qui sont une vie digne dans la sûreté, l'absence d'entraves, et la lumière, si lointaine soit-elle, d'un avenir de sérénité et de prospérité.
Or, monsieur le président, j'observe que malgré plusieurs dizaines de résolutions prises par la communauté internationale, malgré l'évidence criante de l'injustice faite au peuple palestinien depuis 1948, malgré les espoirs nés à Oslo et malgré la reconnaissance du droit des juifs israéliens à vivre dans la paix et la sécurité, maintes fois réaffirmés par l'Autorité palestinienne, les seules réponses apportées par les gouvernements successifs de votre pays ont été la violence, le sang versé, l'enfermement, les contrôles incessants, la colonisation, les spoliations.
Vous me direz, monsieur le président, qu'il est légitime, pour votre pays, de se défendre contre ceux qui lancent des roquettes sur Israël, ou contre les kamikazes qui emportent avec eux de nombreuses vies israéliennes innocentes. Ce à quoi je vous répondrai que mon sentiment d'humanité ne varie pas selon la citoyenneté des victimes.
Par contre, monsieur le président, vous dirigez les destinées d'un pays qui prétend, non seulement représenter les juifs dans leur ensemble, mais aussi la mémoire de ceux qui furent victimes du nazisme. C'est cela qui me concerne et m'est insupportable. En conservant au Mémorial de Yad Vashem, au cœur de l'Etat juif, le nom de mes proches, votre Etat retient prisonnière ma mémoire familiale derrière les barbelés du sionisme pour en faire l'otage d'une soi-disant autorité morale qui commet chaque jour l'abomination qu'est le déni de justice.
Jean-Moïse Braitberg
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