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Droit dans les yeux :
L’un des grands combats qui vaut aujourd’hui et toujours, c’est la lutte contre la misère, la lutte pour transformer les structures qui engendrent la misère.
A l’occasion d’un de mes récents articles qui a suscité beaucoup de réactions, je voudrais revenir sur le thème de la pauvreté et de la misère dont je parle souvent dans cette rubrique. Nous ne cessons d’entendre dire et peut être de dire nous mêmes: « Nous sommes un pays pauvre » ; « nous sommes nous-mêmes pauvres » ; « nous manquons de moyens » ; « nous n’en sortirons jamais » et avec la crise, ces sentiments sont plus forts que jamais.
Quand j’étais prêtre en paroisse souvent chargé de l’aide aux pauvres, des distributions de la Caritas ou autres, et que je demandais aux responsables d’identifier les plus pauvres, ils me répliquaient invariablement : « mais nous sommes tous pauvres ». Et pourtant, un regard un peu habitué voyait facilement les familles les plus démunies, les plus dépendantes, sinon les plus misérables. Pas question pourtant lors des distributions de les aider davantage. Il y avait un « égalitarisme », un « refus de voir » qui m’a toujours choqué… quand ce n’était pas le chef qui accaparait une grosse part pour asservir encore un peu plus les plus pauvres…
A l’occasion d’une de ces dotations en vivres, nous avions décidé d’intervenir au niveau des sociétés de culture. En effet, quand vient ton tour de recevoir les travailleurs de ta société de culture dans ton champ, il faut les nourrir, leur donner le dolo et peut être même la cigarette ou la cola. Incapables de préparer cette nourriture, les plus pauvres passaient leur tour de recevoir les travailleurs dans leurs champs et vendaient à vil prix cette journée de travail à des plus riches qui en profitaient pour leurs propres champs. Ainsi les plus pauvres travaillaient pour les autres et les autres ne travaillaient jamais pour eux.
Nous avons donc fourni farine et huile à ceux qui habituellement devaient passer leur tour… et qui ont pu ainsi recevoir leur journée de travail. Pour certains, cela a permis un vrai démarrage… mais j’étais loin de m’imaginer la violence de la réaction des plus riches qui ne pouvaient plus acheter ainsi des travailleurs à vil prix ! Non seulement jaloux que l’on ait aidé efficacement des pauvres (et pas eux), mais surtout fâchés d’avoir été privés de main d’œuvre à bon marché.
Cette expérience fut pour moi déterminante : j’ai vraiment découvert très concrètement, au travers d’une organisation qui se disait solidaire, que ce système d’ « entraide » enrichissait les riches et appauvrissait les pauvres.
Alors, plus jamais je ne veux entendre :
« Les différences existent dans la société et elles existeront toujours. Ce n’est ni de votre faute ni de ma faute s’il y’a des pauvres et des riches »
Les différences existent et c’est à cause des structures injustes contre lesquelles il faut se battre : nous y sommes pour quelque chose et il y a toujours quelque chose à faire, au niveau personnel et au niveau commun. Il y a des choses à faire pour que le fossé entre riches et pauvres diminue.
« Laissez chacun faire sa fête comme il le peut et selon ses moyens. Que ceux qui ont leurs moyens y aillent. Tant pis pour les aigris. »
Il ne s’agit pas d’être aigris ; il s’agit qu’on ne peut pas être vraiment heureux avec un pauvre à sa porte – à moins de se boucher les yeux et de fermer son cœur. On ne peut être heureux tout seul, en fermant les yeux sur le malheur des autres. On ne peut sans cesse ignorer les pauvres et les raisons pour lesquelles ils sont pauvres. Il faut regarder, réfléchir, agir…
Alors, j’aime beaucoup cette parole de Martin Luther King citée aussi par un lecteur :
« La vraie compassion, ce n’est pas jeter une pièce à un mendiant ; c’est comprendre la nécessité de restructurer l’édifice même qui produit des mendiants »
Tous, nous avons à chercher les racines de la pauvreté. Et à lutter ensemble pour les faire disparaître…
Moins d’égoïsme, plus d’attention aux autres
Moins d’âpreté au gain, plus de partage
Moins de « libéralisme », plus de solidarité active organisée au niveau de la nation
Moins de course personnelle à la fortune, plus de recherche du bien commun…
La liste n’est pas finie, vous pouvez ajouter vos suggestions.
Il faut changer, refaire l’édifice qui produit des pauvres et des misérables…
Et ne jamais s’accommoder de leur existence à nos côtés sans rien faire.
Père Jacques LACOUR (BP 332 KOUDOUGOU)
jacqueslacourbf@yahoo.fr
paru le mardi 10 février dans le journal Le Pays, rubrique "Droit dans les yeux"
et repris sur le fasonet
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