Droit dans les yeux :
Ne vous inquiétez pas…
On ne vous dit pas tout !
Lors d’un récent passage à Ouahigouya, j’ai croisé, pendant leur pause, quelques élus CDP qui y tenaient congrès. Rapide présentation, quelques échanges détendus… et très vite cette phrase, à propos de cette rubrique : « Mais, mon père, il ne faut pas tout dire ! ». Et bing ! C’est la deuxième fois que j’entends cette réflexion… et de la part de militants CDP.
Forcément, ça m’invite à réfléchir : est-ce moi qui suis visé, ou est-ce une certaine conception de l’information ?
Dès que je suis arrivé au Burkina, il y a deux principes que l’on m’a enseignés et qui, semble-t-il, régissent beaucoup de choses : « On n’entre pas dans le ‘6 mètres’ de quelqu’un d’autre » et cet autre : « on ne gâte pas l’affaire de quelqu’un d’autre ». Evidemment pour ce qui est de la stricte vie privée et tant que ça ne porte préjudice ni à quelqu’un d’autre ni à aucune institution, cela me paraît raisonnable… Mais il est loin d’en être toujours ainsi ; car je me suis aperçu que ces principes – largement appliqués -- couvraient de très nombreuses situations délictueuses et que cet appel culturel au silence entretenait de profondes injustices…
Il arrive ainsi que la gestion du pouvoir et des richesses de la nation soit entourée de silences coupables, de dissimulations plus ou moins subtiles, de « mensonges d’état » pour couvrir des situations que l’on espère garder secrètes le plus longtemps possible. (Mais cela est vrai aussi dans beaucoup d’associations et de groupes divers). Ah, ce culte du secret qui permet les arrangements et les magouilles, les tricheries et les privilèges, les passe-droits et les infractions, la corruption et les détournements. Ce silence là doit être brisé… mais il ne faut certainement pas compter sur les bénéficiaires pour le faire.
Dans une démocratie, c’est à l’opposition (si elle est libre vis-à-vis du pouvoir), c’est à la presse (si elle est libre) et c’est à la société civile (si elle n’a pas été fabriquée à la mesure du pouvoir et si on lui laisse le droit de s’exprimer) de briser ces silences coupables ; et pour toutes ces situations, il faut briser le secret, il faut entrer dans certains ‘6 mètres’ et dire des noms, il faut gâter l’affaire des délinquants et de ceux qui enfreignent les lois pour qu’ils soient corrigés ou se corrigent eux-mêmes.
Dans l’affaire des villas de la caisse (CNSS), la seule révélation de la Cour des comptes n’a pas suffi ; il a fallu qu’un journal révèle des noms pour que les citoyens puissent bien connaître l’affaire et sa portée. Alors le Premier Ministre, pourfendeur de toute corruption, puis le ministre du travail sont montés au créneau pour tenter de justifier ces situations injustifiables : des agents de l’Etat ont profité des richesses de l’Etat illégalement, en enfreignant les lois du pays. Mais nous dit le député Mahama Sawadogo, heureusement, il n’y a jamais eu de décrets d’application pour ces lois. Ainsi, nous avons des lois pour montrer à la communauté internationale que nous sommes un état de droit ; mais à l’interne, pas de décrets d’application, donc jamais de sanctions… et le tour est joué !
Merci dans ce cas à la presse d’avoir « tout dit », même si on sait d’avance que cela va recommencer avec les prochaines villas… (Avec sans doute un emballage plus discret.)
Dans la question de l’exploitation des ressources naturelles du Burkina, c’est la Société Civile entrainée par ORCADE qui essaie d’y voir un peu clair : Il faudrait « tout dire » pour que les citoyens comprennent ce qui est fait des richesses du pays : les contrats miniers, ce qui est réellement extrait, ce qui est versé à l’état, ce qui revient aux populations expulsées, le bénéfice pour les populations locales… Il y a tant de pays d’Afrique où le pillage par les multinationales et les dirigeants du pays est facilité par la dissimulation, le secret, le mensonge. La publication de tous les chiffres est attendue par les populations qui habituellement sont maintenues dans l’ignorance. Que Dieu bénisse le travail d’ORCADE et de tous ceux qui veulent savoir. Il ne pourra jamais exister de vraie conscience citoyenne tant que cette connaissance ne sera pas partagée et publiée. Le secret est alors un déni de démocratie : Oui, dans ce cas, il est bon de tout dire ! Mais le travail ne va pas leur manquer tant les résistances à la « transparence » sont grandes « en l’état actuel de nos états ».
Tant que les dirigeants n’y sont pas forcés dans notre pays, ils font de la rétention d’information, de la dissimulation… qui s’apparente parfois au mensonge d’état : ils ne veulent rien dire : de la « mort naturelle » de Thomas Sankara ou de l’ « accident » de Norbert Zongo, à l’implication du Burkina dans les guerres civiles de l’Angola, du Libéria ou de Sierra Leone… mais il y a aussi l’enrichissement « rapide et mystérieux » des proches du pouvoir dont les revenus connus n’y pourraient suffire… et le silence assourdissant des services des impôts et de la justice… pour ne citer que cela !
A ceux qui m’interpellaient : « mon père, il ne faut pas tout dire » ; je leur redis : « Ne vous inquiétez pas : on ne vous dit pas tout, même si vous êtes au CDP ! »
Père Jacques LACOUR (BP 332 Koudougou)
jacqueslacourbf@yahoo.fr
Ce texte a paru le mardi 21 avril dans la rubrique "droit dans les yeux" du journal "Le Pays", édition papier. mais également dans la version éléctronique à cette adresse (avec forum)
http://www.lepays.bf/spip.php?article1616
(article visité plus de 600 fois sur le site du journal)
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