Droit dans les yeux :
Je suis bien content, cette année, que la journée du paysan se déroule à Koudougou : je vais pouvoir y assister un peu. Journée qui fut longuement préparée et que bon nombre de mes amis paysans appellent : « la journée du président ».
Ma plus grande surprise, quand je me suis rendu à l’Université pour les discours officiels, c’est de voir le nombre de 4x4 sur le parking de stationnement. Vraiment, on aurait pu croire que c’était le salon du 4x4 de Koudougou ! Je ne me rappelle pas avoir vu tant de 4x4 rassemblés au Burkina, et pourtant, j’y suis depuis près de 30 ans ; et toutes les marques étaient représentées, et tous les modèles jusqu’aux plus luxueux. Ce ne sont quand même pas les paysans qui roulent habituellement en 4x4 !
Les chauffeurs m’ont expliqué que ce sont les personnels de tous les services convoqués qui ont rempli l’amphi depuis le matin… Ainsi donc, il n’y a pas que les paysans. Loin de là.
Je resterai au dehors avec une foule de paysans pour qui, bien sûr, il n’y avait plus de place… Mais comme c’était bien sonorisé, ça allait quand même : le président, on peut toujours le voir à la télé.
Le ministre de l’agriculture s’est publiquement réjoui de l’augmentation de la production, mais il a plus loué les aides ponctuelles de l’Etat que la peine et la sueur des paysans. Les paysans ont produit vraiment plus, sauf pour le coton qui a baissé de 31%… Depuis le temps qu’on essaie de faire comprendre au ministre qu’un prix rémunérateur pour le paysan le motivera bien plus que toute autre chose. Si la filière riz a tant produit cette année alors qu’elle était en faillite, c’est d’abord parce que le prix du riz a monté. Et comme le prix du coton baisse, la production baisse – quelles que soient les aides à la filière… C’est d’une telle limpidité…
Dans le discours du Président, deux choses m’ont frappé :
Il a très peu parlé des paysans, il parlait des « acteurs et actrices » du monde rural… A-t-il honte du mot paysan ? Ou voulait-il s’adresser aussi à ses nombreux auditeurs dans la salle qui n’étaient pas paysans ? Il y a là un glissement qui déçoit quand même beaucoup : la journée du paysan ne devient-elle pas ainsi la journée de ceux qui tournent autour des paysans (avec leurs 4x4) ?
Par contre, par deux fois, il a parlé de « souveraineté alimentaire ». (C’est nouveau et c’est bon signe). Pas seulement de « sécurité alimentaire » comme il le fait toujours largement, mais de « souveraineté alimentaire », ce droit des peuples à produire la nourriture qu’ils veulent consommer … et de manière durable.
Il a invité les paysans à bouger dans un monde qui bouge : les contraintes sont nombreuses, les défis sont immenses… il faut s’adapter continuellement.
Mais les paysans attendent désespérément que les gouvernants bougent, que les législateurs bougent, que l’administration bouge : A quand la « loi d’orientation agricole » ? A quand la sécurisation foncière de ceux qui travaillent la terre ? A quand l’accompagnement de la mise en place d’un vrai circuit d’approvisionnement pour les intrants ? A quand un vrai budget de l’agriculture et qui cesse de n’être exécuté qu’à moitié chaque année alors que les besoins sont si immenses ? Les paysans vous regardent : c’est vous qu’ils attendent de voir bouger.
Un petit tour à la foire agricole a tout simplement montré que les paysans sont capables de produire de tout dans tous les domaines, et d’abord pour alimenter les marchés locaux qui deviennent source de richesses pour tous… Ils s’adaptent, ils diversifient, ils répondent aux besoins locaux. Sans marché intérieur alimenté par les paysans, comment serait-il possible de faire reculer la pauvreté ?
Les conclusions des ateliers et des forums ont montré qu’un réel travail de réflexion a été accompli, mais qu’en restera t il dans 15 jours, dans deux mois ? Quel suivi y aura-t-il pour toutes ces suggestions et ces propositions qui sont répétées chaque année, inlassablement,… et en cours d’année par les organisations paysannes, inlassablement ? Qui écoute vraiment les paysans au long des jours ?
Pourtant, les organisations paysannes ne cessent de faire des analyses, des suggestions et des propositions qui sont très peu entendues. Ce sont des groupes restreints de hauts fonctionnaires, d’experts et de décideurs qui élaborent, bien loin des paysans, les « politiques agricoles », successions peu cohérentes et sans vraie suite de projets, de programmes, de plans d’action et autres qui permettent, entre autres, l’achat de tant de ces 4x4 inutiles.
Reprenant un des derniers messages de plaidoyer de
« … La part des dépenses publiques consacrées à l’agriculture est très faible… La mise en place d’une politique nationale de financement du monde rural était un objectif initial, mais oublié en cours de route… Le Plan d’Action/Organisations Professionnelles Agricoles (PA/OPA) reste un échec unanimement admis…
Il est urgent, par une loi d’orientation agricole, de définir une vision claire et partagée à long terme de l’agriculture par l’ensemble des acteurs, de créer un consensus entre les acteurs économiques de l’agriculture, la société et les pouvoirs publics, d’entretenir un message de confiance en l’avenir du monde rural et agricole et de moderniser notre agriculture…
Parmi les priorités, il faudrait traiter le financement de l’agriculture familiale, le budget affecté à l’agriculture, le statut du paysan et la protection sociale… »
A la tribune de l’ONU, le chef de l’état, en septembre 2008 déclare ceci : « La crise alimentaire que le monde vit a suffisamment montré l’inconséquence de nos politiques agricoles et la fragilité de nos systèmes de production et de commercialisation ; il est urgent de relancer les investissements en faveur de l’agriculture et de soutenir les organisations paysannes et professionnelles dans des partenariats innovants. »
Est-ce un discours à usage interne ou à usage externe ?
Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)
(Ce jour là, j’ai porté une chemise en pagne de
Ce texte a été publié dès le lundi 6 avril à 21heures sur le site internet du Pays, rubrique "Droit dans les yeux"
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