mercredi 24 septembre 2008

Deuxième déclaration de Rivas (13-9-2008)

L'Espagne, qui est l'une des principales portes d'entrée pour les migrants africains en Europe, vient d'accueillir pendant 3 jours à Rivas le IIIe Forum social mondial des migrations. Un Forum qui s'est conclu par une manifestation, ce dimanche 14 septembre, dans les rues de Madrid, pour demander plus de droits pour les populations immigrées. Le IIIe Forum social mondial des Migrations a réuni près de 3 000 participants de 2 000 organisations et 90 pays à Rivas une commune de la banlieue de Madrid. J'y étais comme délégué de la province d'Afrique de l'Ouest des Missionnaires d'Afrique

Voici la déclaration publiée à la fin des trois jours de travaux des 11, 12 et 13 septembre 2008


Deuxième Déclaration de Rivas
Assemblée des mouvements sociaux
Tenue au cours du III Forum Social Mondial des Migrations

Aujourd'hui,
alors que nous commémorons le soixantième anniversaire de la Nakba palestinienne, les vingt ans depuis les premiers morts du détroit de Gibraltar, les 35 ans de l’agression militaire contre le président démocratique Salvador Allende,
au moment où cette même légitimité est gravement menacée en Bolivie et demande prise de conscience et solidarité,
alors que nous célébrons la 60ème année de la Déclaration universelle des droits de l'homme,
nous, hommes et femmes, qui faisonse partie de plus de deux mille mouvements sociaux et organismes de 90 pays autour de la planète, nous nous sommes réunis à Rivas Vaciamadrid (Espagne), du 11 au 14 Septembre 2008,
unis autour du slogan :
nos voix, nos droits, pour un monde sans murs

Nos voix

Nous sommes des migrants et des organisations de migrants, des personnes déplacées et des réfugiés, des victimes de la traite des êtres humains et de la traite des esclaves. Nous sommes également membres de mouvements sociaux et d’organismes travaillant de concert avec ces personnes. Nous sommes des individus et des collectifs qui, en raison de notre souci de la migration dans toutes ses dimensions, ont développé des actions pour la transformation radicale des conditions de vie des humains qui ont été forcés de migrer, de se déplacer, ou de chercher refuge.

Nous, les migrants, les personnes déplacées et les réfugiés, et nos organismes, nous nous affirmons comme un nouveau sujet politique et une force sociale mondiale renforcée dans ce III Forum social mondial des migrations. Pour toutes les raisons mentionnées ci-dessus et avec un droit légitime, nous élevons notre voix pour dire:

Non à la détérioration progressive des conditions de vie qui touche aujourd’hui la majorité de la population dans le monde, dans le nord comme dans les pays du Sud, qui touche spécialement les migrants, les réfugiés et les personnes déplacées en provenance de tous les continents, en particulier ceux qui viennent de Palestine, d’Afrique subsaharienne, de Colombie, du Soudan, et de l’Irak.
Nous disons non à la complaisance des politiques des États-Unis, de l’Europe, et de l'Espagne en particulier.

Non à la migration forcée des peuples autochtones en raison de l'exploitation de leurs terres et à l'importance des projets agro-industriels qui ont pour conséquence la perte de leurs racines et la destruction de leur culture

Non aux différentes manifestations racistes contre les migrants et leurs communautés sur tous les continents et spécialement celles qui frappent plus particulièrement les Africains et la communauté latino aux États-Unis

Non à la reproduction et au renforcement d'un système patriarcal qui, dans le contexte de la féminisation de la migration, a conduit à une profonde disparité dans ce qui était déjà une grande inégalité entre les sexes, en raison notamment du fait que les femmes sont principalement employées dans des conditions proches de l'esclavage, en accomplissant les travaux domestiques et les soins à la personne.

Non aux projets qui stigmatisent, catégorisent et excluent les migrants et leurs familles et qui détériorent ainsi le tissu social, communal et organisationnel.
Nous rejetons la tentative de transformer les envois de fonds privés par des politiques de développement dans les pays d'origine renforçant le circuit financier du capital et élargissant encore davantage les inégalités, historiques, sociales, politiques, économiques, culturelles.

Non au discours médiatique conventionnel qui véhicule les stéréotypes, renforce la criminalisation et la victimisation des personnes migrantes dans un discours hégémonique. Non à la xénophobie, à la discrimination et au racisme propagés par ce discours qui tend à faire augmenter ces pratiques et ces conduites dans les sociétés et dans les pays de transit et de destination des migrants.

Non à une mondialisation capitaliste néo libérale, centralisatrice et excluante, prédatrice de l'être humain et des ressources naturelles dans son ensemble, et qui est la cause fondamentale des migrations contemporaines.

Nos droits

Nous sommes des individus engagés à regarder le cours des évènements. Nous analysons et interprétons la réalité complexe des migrations, la place des êtres humains, leur dignité et l’intégrité de leurs droits humains. Nous concevons et à mettons en œuvre des initiatives multiples et diverses, qui nous permettent de continuer à jouer notre rôle de chef de file historique dans la construction d’une autre une réalité.

Dans les conditions actuelles du capitalisme mondial, les personnes migrantes sont un exemple évident de l'inégalité économique et sociale entre les pays et au sein des pays. Cette situation est aggravée par une crise mondiale et multidimensionnelle: économique, environnementale, alimentaire, et de l'énergie.

La construction de murs géographiques, politiques, juridiques, culturels, tels la « directive européenne de la honte » et d'autres lois publiques et dispositions officielles similaires, est une stratégie criminalisante, qui cherche une plus grande rentabilité pour les capitaux internationaux en éliminant tous les droits de l'homme. Pour cette raison, ils ont recours à l'externalisation des frontières (leur sous-traitance), et à l'internalisation des persécutions, du harcèlement, des déportations et des détentions arbitraires ; l'impunité de la police des frontières et des centres de détention en fait des lieux où la violation des droits de l'homme est monnaie courante.

Nous insistons sur le fait que les accords bilatéraux et régionaux inspirés par le modèle philippin de « programmes temporaires pour les travailleurs », empêchent non seulement l’enracinement du travailleur migrant, mais annulent toute possibilité de faire valoir ses droits portant sur l'exploitation excessive et la déshumanisation des travailleurs. Ils ne sont pas conformes aux obligations des conventions 97 et 143 de l'OIT (Organisation Internationale du Travail). Sans le respect desquelles la détérioration des droits de l'homme au travail va augmenter : perte de salaire, perte de l’environnement social et juridique du travailleur migrant et, au final, transformation des migrants en marchandises.

Face au travail forcé, à l'esclavage et à la précarité, nous affirmons la nécessité de défendre, de revendiquer, et d'étendre la possibilité pour tous d’un travail digne pour une vie digne, qui intègre la liberté, l'égalité de traitement, et de manière adéquate la situation financière de tous les travailleurs.

Nous soutenons les initiatives d’économie solidaire qui rendent plus fort le réseau associatif en mettant en place des processus d’économie sociale et de développement intégral des personnes. Nous refusons que ce soit un instrument pour nier les droits des migrants. (L’économie solidaire doit être une voie alternative aux migrations mais ne peut pas être un mécanisme pour les restreindre).

Nous faisons la promotion de la citoyenneté universelle et réaffirmons le droit universel des individus à la liberté de circulation comme établi dans la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Pour un monde sans murs

Un monde sans murs est une condition essentielle et nécessaire pour construire un autre monde possible; honorer en totalité les articles 13 et 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme est une exigence et nous sommes déterminés à poursuivre notre lutte pour les droits de tous les migrants.

Pour cela, nous exigeons:

La signature, la ratification et la mise en œuvre de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille par les pays qui ne l'ont pas encore fait. Nous saluons les pays qui ont ratifié la déclaration et ont adapté leur législation nationale aux exigences de cette convention. Nous nous félicitons de l'engagement de chaque autorité locale à soutenir la campagne en faveur de sa ratification, campagne qui a été lancée par les autorités locales de Rivas Vaciamadrid.

L'établissement d'un mandat ou d'une procédure spécifique au sein du système des Nations Unies pour combler les lacunes dans les instruments existants pour la protection des migrants, le CMW (Comité sur les travailleurs migrants), le rapporteur spécial, l’ACNUR, et le Représentant spécial pour les personnes déplacées (intérieures).

L’abrogation immédiate de la directive européenne de retour, ainsi que la suppression de tous les instruments juridiques qui permettent l'arrestation et la détention des migrants dans le monde entier;
le démantèlement de l'agence Frontex et de tous les dispositifs politiques et militaires qui verrouillent les politiques migratoires,
le contrôle des lieux de détention des migrants par des organismes sociaux, et ce, jusqu'à leur clôture définitive.

Que les frontières du monde cessent d'être des lieux d'impunité où les personnes migrantes ne soient plus soumises à toutes sortes de violations, de crimes, et forcées à prendre des risques qui mettent leur vie en danger. Nous exigeons que les pays d'origine, de transit et de destination, assument leur responsabilité pour inverser cette situation.

La régularisation de tous les migrants sans papiers dans toutes les régions du monde.

La reconnaissance d’autres formes de persécution ainsi qu’une plus grande prise en charge juridique des causes déjà reconnues comme l’asile, les réfugiés, la traite des êtres humains ; en garantissant que les demandes et les procédures soient en conformité avec tout ce que la loi prévoit et en se concentrant sur les droits de l'homme de ces groupes. De plus, nous demandons le respect des conditions que le droit international exige pour le retour des réfugiés.

La dénonciation de toutes les conventions d'expulsion, qui sont généralement imposées aux pays d'origine ou de transit et qui, souvent, entraînent de graves violations des droits, des séparations familiales, des représailles par les autorités dans le pays d'origine et une grave perturbation des migrants.

L'annulation des accords et des clauses de réadmission et l'arrêt de toutes les affaires de ce type entre l'Union européenne et les pays tiers et entre les pays tiers.

L'encouragement des personnes et des communautés de migrants à s'organiser, s'exprimer, et dénoncer toutes les formes de domination et d'exploitation et à faire ainsi valoir leurs droits.
Le renforcement de leurs organismes et réseaux de soutien mutuel.

Le respect de la législation internationale qui garantit la protection adéquate des enfants qui sont une partie importante des flux migratoires internationaux.

L'intégration dans notre lutte de la revendication d’une justice environnementale ainsi que la reconnaissance et la protection juridique des réfugiés que provoquent les changements climatiques et la destruction de l'environnement,
préconisant un nouvel ordre mondial qui favorise la dignité humaine pour tous les peuples, à l’écoute du potentiel de notre planète Terre.

Mise en œuvre de politiques visant à garantir l'égalité des chances, le développement de mesures d'insertion qui ne dépendent pas de la situation administrative des personnes migrantes ;
de politiques qui intègrent dans les services publics la diversité culturelle des migrants;
de politiques à long terme pour l’intégration de la jeunesse et pour la promotion de la réalisation de l'égalité des droits des LGBT groupes de migrants et de leurs familles.

Le droit de vote au niveau municipal et la participation active dans la définition des plans locaux de développement, dans le respect de l'autonomie des organismes et des mouvements sociaux, de manière à ce que s'exerce pleinement et efficacement la citoyenneté des personnes migrantes.

La participation politique des migrants dans le but d'influencer les politiques internes et les politiques externes du pays d’accueil en faveur de leur pays d'origine, de rendre visibles les avantages que les migrants apportent à leur pays d'accueil, de devenir des citoyens actifs eux-mêmes.

La poursuite du processus de rédaction collective de la Charte des immigrés, ainsi que tous les processus et initiatives susceptibles de renforcer la défense des droits des migrants.

La multiplication et le renforcement des medias démocratiques qui prend en compte le point de vue des migrants et de leurs communautés et reflète de manière adéquate la complexité de la migration.

Nous voulons réaffirmer la dimension profonde et la dignité de l’être humain, en évitant que la logique commerciale ne vienne affecter nos mouvements sociaux. Nous rappelons également que notre identité de migrants, réfugiés ou personnes déplacées ne nous prive pas de nos autres identités multiples et de nos autres luttes.

A cause de tout cela, nous vous invitons à Quito, en Equateur, en Octobre 2010, pour le IV Forum social mondial sur les migrations.

La migration n'est pas un crime. Les crimes sont les causes des migrations. Nous élevons nos voix, nous défendons nos droits, nous nous battons ensemble pour construire un monde sans murs.

Rivas Vaciamadrid, le 13 septembre 2008

(Traduction provisoire du père Jacques Lacour en attendant la version officielle

Faite à partir des deux versions déjà existantes :

En espagnol http://www.fsmm2008.org/declaracionrivas2.php

En anglais http://www.fsmm2008.org/eng/declaracionrivas2.php )

Aucun commentaire: