suite à la 2° édition du Forum Social du Burkina
tenu à Ouahigouya, les 27,28 et 29 mars 2008
Le Forum social internationalement connu et dont le Père Jacques Lacour est une des chevilles ouvrières, vient de se tenir à Ouahigouya. Le moment, comme on le sait, est dominé par une crise internationale et par une crise nationale à multiples facettes marquée par des émeutes mais aussi par l'éviction de Salif Diallo du gouvernement.
Nous avons approché le Père pour qu'il nous en dise un peu plus
- Quelle était l'ambiance à Ouahigouya et comment se sont déroulés les travaux ?
Et bien, pour la deuxième fois, à Ouahigouya, nous avons réussi notre pari : 600 personnes ont répondu à l’appel du forum social, ont fait le déplacement et se sont approprié les questions de société qui leur ont été proposées et celles qui les préoccupent. La participation a été très intense et le témoignage des participants touchants : Il est bon de voir des paysans se lever pour dire leurs préoccupations ; il est bon de voir des femmes prendre la parole pour dire des convictions et dénoncer ce qui ne va pas. Il y a eu 2 panels (un sur la souveraineté alimentaire ; l’autre sur l’intégration régionale) 30 ateliers et plusieurs espaces de libre expression et de témoignages.
On prend conscience alors que si on leur donnait vraiment la parole, beaucoup plus souvent, si on les associait réellement à des politiques agricoles intelligentes et réfléchies à long terme, prenant en compte leurs soucis et les enjeux de notre avenir économique, alors les choses pourraient aller nettement mieux. Mais qui veut écouter les paysans ? Qui « craint » les paysans pour se mettre à leur école? Nos autorités continuent à leur imposer des politiques qu’ils ne comprennent pas, et pour cause ! Les politiques se réduisent souvent à des successions de programmes mal adaptés et à court terme…
L’ambiance fut bonne aussi car chacun a pu faire des rencontres avec d’autres, discuter d’expériences très diverses, partager des idées ; certains ont échangé des adresses, se retrouveront, continueront à échanger… Les délégations étrangères (Mali, Togo, Bénin, Nigeria) ont été particulièrement heureuses de participer à nos travaux.
Les soirées culturelles (avec de nombreuses troupes locales) furent réussies et la joie partagée était au programme.
- Que retenir de ce forum ?Il est bien difficile de résumer en quelques mots la richesse de si nombreux échanges. Je vous invite donc à lire la « déclaration finale du deuxième forum » dont la presse quotidienne s’est fait l’écho et qui figure sur le site du forum. ( http://www.forumsocialburkina.info )
Au cours de ce deuxième forum, nous constatons que les mêmes questions reviennent, que les soucis des populations sont les mêmes : Les paysans veulent vivre correctement de leur travail, mais le monde qu’on leur prépare va devenir de plus en plus dur pour eux, parce qu’ils sentent bien qu’il est construit sans eux et même souvent contre eux. Dans le cadre de politiques faites sans eux et obéissant trop souvent à des intérêts extérieurs…
Les APE dans leur forme actuelle ruineront l’agriculture familiale ; les OGM vont nous rendre dépendants d’une seule multinationale prédatrice (Monsanto) ; corruption et mal gouvernance empêchent notre pays de progresser ; nous devons produire ce que nous consommons et consommer ce que nous produisons, viser la souveraineté alimentaire en protégeant notre agriculture, favoriser l’intégration régionale trop freinée par nos dirigeants, défendre la dignité humaine partout, au pays et sur les routes de l’exil, permettre aux femmes d’être mieux respectées et entendues.
- Pensez-vous qu'il y ait des chances que vous soyez entendus par les autorités ?
Dès notre arrivée à Ouahigouya, nous avons eu un interlocuteur d’une très grande sagesse en la personne du gouverneur de région qui nous a très bien accueillis et qui nous a semblé vraiment très attentif aux préoccupations des populations reprises par le forum social. Par lui, peut être, la parole des petites gens – que le forum tente de transmettre -- pourra être entendue dans les sphères des décideurs.
Oui, nous souhaiterions que les autorités politiques de Ouaga cessent d’aller vers les populations paysannes avec autre chose que des discours tout faits qui ne laissent aucune place à la parole vraie et directe des paysans. On a l’habitude de dire qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre… C’est l’impression que nous donnent trop souvent les autorités politiques quand on aborde des questions comme les APE, les OGM, les circuits de commercialisation, une politique agricole incluant la souveraineté alimentaire, les nécessaires soutiens à l’agriculture familiale… ou les tracteurs détournés (dont l’affaire, confiée à la justice, traîne comme d’habitude en longueur et pourrait bien se terminer par un non-lieu !)
Oui, nous souhaiterions que les autorités écoutent davantage les populations rurales et leurs préoccupations ! Mais avec les temps de crise qui viennent, elles y seront sans doute contraintes.
- Nous venons de lire dans Le Pays de ce jeudi 3 avril une interview de Mr amos Ticani, Ambassadeur de l'UE au Burkina Faso. Il a dit : "C’est une fausse affirmation que de dire que les APE vont mettre en danger l’agriculture ouest africaine ». Que pensez-vous de cette sortie de l'ambassadeur Ticani ?
Les APE, nous disait l’an passé au premier forum, une dame productrice de lait, c’est pire que le SIDA : Le Sida, on sait comment s’en protéger, les APE, on ne sait pas. La libéralisation des marchés, les importations de sous-produits de l’agriculture européenne (culs de dinde ou autres) ou de produits subventionnés, le refus de soutenir l’agriculture familiale, les impôts sur le monde agricole qui vont être mis en place, tout cela met directement en danger l’agriculture familiale « ouest africaine ». Celui qui dit le contraire ne me semble pas dire la vérité. Ils sont très nombreux ceux qui l’ont déjà dit.
L’ambassadeur Ticani est représentant de l’Europe et il est tenu de dire cela, même s’il n’y croit pas. Ne dit-il pas au début de son interview qu’à part l’Ile Maurice et le Botswana, aucun pays d’Afrique n’a été réellement gagnant dans les accords précédents qui incluaient la dimension « développement » et étaient « asymétriques ». Malgré ces accords, la pauvreté a progressé, l’Afrique n’a pas décollé économiquement. Qu’en sera-t-il d’accords « réciproques », n’incluant pas la dimension « développement » ? Une catastrophe annoncée !
L’agriculture ouest africaine a besoin d’être protégée (et surtout pas libéralisée), pour atteindre la souveraineté alimentaire. C’est parce que l’Europe n’a jamais aidé l’agriculture ouest africaine à devenir forte – avec la conspiration des dirigeants africains – que l’on connaît aujourd’hui aussi fortement le phénomène de la « vie chère » : nous consommons ce que nous ne produisons pas, nous ne consommons pas ce que nous produisons !
San Finna N° 458 du 07 au 13 Avril 2008
"Il n'est de Liberté qu'en dehors de l'Abus
mais il n'est de Liberté sans capacité de refus"
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