jeudi 4 septembre 2008

Difficile mais nécessaire refondation.

Droit dans les yeux :
Difficile mais nécessaire refondation.

Les refondateurs sont venus me rendre visite et nous avons échangé, sans trop de diplomatie mais avec un grand respect mutuel sur la démarche qu’ils entreprennent et le manifeste qui circule depuis début avril. Voici quelques points suggérés lors de nos rencontres….


Toute refondation sera difficile s’il n’y a pas un renouvellement des personnes.

Contrairement à ce qu’a affirmé un haut ecclésiastique, le Burkina Faso regorge aujourd’hui de gens bien formés, compétents et honnêtes qui pourraient être appelés à remplacer ceux qui traînent derrière eux une batterie de casseroles particulièrement bruyantes. Qu’il s’agisse de parcelles, d’OFNACER, de Caisse de péréquation, de sociétés nationales mises en faillite pour être privatisées, de marchés publics pipés, il semblerait bon que tous les acteurs politiques indélicats de ces vieilles affaires et de tant d’autres projets ayant sombré, soient écartés doucement, mais fermement de la gestion des biens publics… et cela quel que soit le bord auquel ils appartiennent. Pas besoin de « super TPR », nous nous connaissons.

A mon petit niveau, il y a quelques années, j’ai pu faire écarter de la présidence d’une importante ONG un homme qui traînait ainsi des casseroles et dont on disait pourtant qu’il était incontournable, leader, notable indéboulonnable… et cela par de fructueuses discussions de couloir qui ont construit un consensus pour l’écarter.

Renouveler aussi, sans super TPR non plus, tous ceux qui ont trempé dans des crimes de sang. Le peuple burkinabè ne fera jamais allégeance au plus profond de son cœur à des gens qui ont tué ou fait tuer.


Toute refondation sera difficile s’il n’y a pas un renouvellement des alliances et des idéologies dans la vision du développement du pays.

Est-il raisonnable de s’aligner sur des politiques imposées de l’extérieur que leurs auteurs n’appliquent pas chez eux et dont nos dirigeants (ou ex-dirigeants) sont ou ont été complices.

Je pense tout particulièrement au soutien à l’agriculture et surtout à l’agriculture familiale vivrière (comme n’ont cessé de le faire à outrance l’Europe et les Etats-Unis)… pour sauvegarder notre souveraineté alimentaire. Au moins pour ne pas périr…

Je pense aussi à la réappropriation des richesses nationales (comme le font aujourd’hui les pays d’Amérique latine) Re-nationaliser nos entreprises et bien les gérer. Si les grandes puissances ont décidé de se débarrasser de tout « bien commun » (pour n’en faire que des biens privés), de privatiser les bénéfices et mutualiser les pertes au détriment des populations, le Burkina Faso n’est pas obligé de les suivre sur cette piste particulièrement injuste pour les plus pauvres. Et même si nos entreprises créent moins de richesses et de bénéfices qu’entre les mains des libéraux capitalistes prédateurs de l’Afrique, toutes les richesses et bénéfices resteront chez nous. En évitant cependant que nos dirigeants ne les mettent en faillite.

Sans doute faut-il accepter (dans le contexte actuel) les investissements venus du monde néo-libéral en quête de nouveaux espaces où la croissance peut être encore forte. Mais pas n’importe comment et à n’importe quel prix. Avec des réglementations strictes, justes et égales pour tous et qui favorisent autant le travail, le capital et l’impôt nécessaire au bon fonctionnement du pays. Que les investisseurs ne soient contraints ni au copinage des dirigeants, ni à la corruption et aux commissions occultes, ni aux délits d’initiés pour entrer dans l’économie burkinabè. Qu’ils se plient réellement aux exigences contractuelles sans devoir passer par les exigences d’enrichissement personnel de certains dirigeants aux dépends des populations. Pas de néo-libéralisme sauvage et corrompu !


Toute refondation sera difficile s’il n’y a pas un réel renouveau des valeurs essentielles qui fondent une démocratie.

En premier, je parlerais de la Justice. Au Burkina, nous avons tous les textes modernes qu’il faut, mais ils ne sont pas appliqués pour 95% de la population qu’on entretient volontairement dans la peur et l’ignorance pour mieux la racketter et l’exploiter. Qu’on laisse dominer par des chefferies et un droit traditionnel de type féodal qui écrase les femmes et les gens de condition servile. Qu’on trompe par des dérivatifs genre « mangeuses d’âmes », pour échapper aux responsabilités… Tant que justice ne sera pas rendue au quotidien, toute promotion parait illusoire, tout véritable exercice de la démocratie sera impossible.

Rigueur, gestion, contrôle, honnêteté… et sanctions pour ceux qui gèrent mal ou refusent de gérer bien. Sans demander les mêmes exigences qu’au temps des Romains (qui noyaient les fonctionnaires indélicats dans le Tibre, après les avoir enfermés dans un sac lesté de cailloux), il faudrait sérieusement revoir la gestion du pays et expliquer comment certains ont acquis de grandes fortunes… La presse française tente parfois de le faire… pas la presse burkinabè tant ce sujet semble tabou.

Sortir de la peur et retrouver la confiance, à tous les échelons de la société. Du paysan qui a peur de se voir retirer son champ et n’y investit donc pas ; de la jeune fille qui a peur de se voir mariée à un vieux polygame et rater sa vie ; des journalistes qui ont peur de parler des « choses tabou » parce qu’il y a de réels risques ; des gens qui ont peur de s’engager par crainte de représailles ; de la population qui a peur des corps habillés dont trop de membres abusent de leur pouvoir…

Sortir enfin de la confusion des pouvoirs : justice, politique, économie… pour que cesse la mainmise d’un tout petit groupe sur l’ensemble du pays et que soit rendu aux populations le droit de savoir, d’agir et d’exercer le pouvoir qui lui revient et dont on l’a frustré.


La refondation est un beau projet, mais un projet difficile ; un projet exigeant qui suppose un vrai renouvellement et en de très nombreux domaines (je n’en ai cité que quelques uns). Comment réunir les conditions pour qu’il puisse réussir ?

Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)
jacqueslacourbf@yahoo.fr

Article publié dans la rubrique "Droit dans les yeux"
du Quotidien "Le Pays" du 3-06-2008 (édition papier)


mardi, 3 juin 2008

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