Que faisons nous de nos terres ?
Les terres agricoles ne sont pas extensibles à l’infini. Les mises en cultures nouvelles de ces 30 dernières années (voilà juste 30 ans que je suis revenu comme prêtre au Burkina), ont entamé très sérieusement le couvert forestier de tout le pays.
Si des zones spéciales n’avaient pas été protégées (forêts classées, réserves, etc.…) par un code forestier particulièrement répressif pour les populations rurales, je ne sais pas ce qu’il resterait de la savane arbustive et des forêts galeries. Avec une population qui a presque triplé ces 30 dernières années et des rendements agricoles qui ont peu progressé, c’est sans doute ces ouvertures massives de nouveaux champs qui ont permis de juguler les famines et de nourrir en grande partie les populations du pays.
Ce sont ces terres agricoles au Burkina qui produisent d’abord la nourriture des populations et qui doivent continuer à assurer cette production.
Mais voilà qu’aujourd’hui, dans le contexte que nous connaissons, il convient de veiller que le coton et le jatropha n’accaparent pas de nouvelles terres qui nous éloigneraient encore de notre souveraineté alimentaire au profit d’intérêts qui ne sont pas ceux des populations rurales, et sans doute pas ceux du pays à long terme.
Sous couvert de lutte contre la pauvreté, la Société AgroED s’implante au Burkina pour produire du jatropha « sur 500 hectares et du tournesol sur 50 hectares dès 2008…puis ce seront 3000 hectares de jatropha en 2009 et… 200.000 hectares à terme ».
Ces surfaces sont elles des déserts que la société AgroED va réhabiliter pour ces nouvelles cultures ? Sans doute pas. Ces cultures vont-elles se faire au détriment des cultures vivrières ? Très probablement.
Tant qu’il s’agissait de haies, ou de sols à réhabiliter, pas de problèmes ; mais aujourd’hui, dans le contexte mondial de pénurie alimentaire, il me paraît grave de laisser faire de tels projets sans vraiment mesurer tous les impacts de telles cultures d’ « agrocarburants » sur l’ensemble de l’économie du pays. Les paysans burkinabè vont-ils produire du carburant au détriment des cultures vivrières ?
Même si aujourd’hui « beaucoup de bailleurs s’intéressent à la culture du jatropha », qui garantira aux paysans un revenu décent et l’accès à la nourriture en cas de pénurie ?
Et croyez vous vraiment que les bailleurs si intéressés soient des « philanthropes » ? L’un des représentants de la société AgroED, Charles Millon, politicien au passé sulfureux rencontré à une conférence internationale à Ouaga fin 2007 me fait douter d’une telle « générosité ».
C’est la seule recherche du profit qui les motive. Ce serait bien étonnant que pour les paysans, ce soit « gagnant, gagnant » ou alors, il faut que l’on nous explique comment.
Sur ce même thème, je voudrais aussi que le directeur de la SOFITEX m’explique comment le coton ne vient pas en concurrence avec les cultures vivrières pour ce qui concerne les surfaces emblavées. Et que la concurrence cultures vivrières/coton serait un faux problème… Et pourtant cette vraie concurrence fait aujourd’hui problème.
Une culture plus raisonnée du coton que celle qui est faite aujourd’hui permettrait un « développement durable » et éviterait le risque de ruiner les sols. En effet, cultiver le coton sur les mêmes terres plusieurs années de suite appauvrit terriblement les terres, alors que des cultures diversifiées en rotation sur 4 ans permettraient de préserver les sols et garantirait au paysan sa nourriture.
Le problème de l’affectation des terres pour produire de la nourriture et nous permettre d’accéder à la souveraineté alimentaire est un problème extrêmement urgent qu’on ne peut laisser dans les seules mains des sociétés industrielles qui s’en servent pour tout autre chose.
Oui, que faisons nous de nos terres et qui en décide ?
Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou) le 3 juillet 2008
(publié dans la version papier du journal "Le Pays", rubrique "Droit dans les yeux" du mardi 15 juillet 2008)
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