jeudi 4 septembre 2008

Refuse l’asservissement !

Droit dans les yeux
Refuse l’asservissement !

Bien cher Frédéric,

Tes deux articles parus dans « le Pays » des 16 et 30 mai derniers m’ont beaucoup interpellé.
Tu les as écrits à l’occasion, en France, de la célébration à la mémoire des victimes de la traite négrière transatlantique.
Tu crois avoir fait un cauchemar, tu crois faire un cauchemar.

Et bien je voudrais te dire, même si tu as du mal à y croire encore, réapprends à faire, comme notre frère Martin Luther King, réapprends à faire un rêve : l’Afrique n’est pas un enfer, l’Afrique a un futur, l’Afrique s’unira un jour… Sur ce continent, des hommes et des femmes vivent, luttent, aiment… La vie est plus forte, la vie l’emportera.

« Heureux ceux qui osent rêver et qui sont prêts à payer le prix fort pour que leur rêve prenne corps dans la vie des hommes ». Durant mon adolescence, cette phrase était affichée au mur de ma chambre… et j’essaie aujourd’hui encore, d’en vivre.

La traite négrière a fait le malheur de l’Afrique, mais elle ne continuera à faire le malheur de l’Afrique que si aujourd’hui tu la prolonges en vendant ou en exploitant ton frère.
« Où tu es, même seul, tu peux refuser, ne pas collaborer, en agissant simplement dans une autre voie. Tu peux donner du sens là où personne ne sait quoi faire. C’est ça le courage. »

Tu es un homme, je te rejoins.
Toutes les pages de l’histoire qui nient l’Homme me touchent. L’histoire me semble ressembler parfois, à moi aussi, à une succession horrible de massacres et d’asservissements. Et cela ne concerne pas seulement l’Afrique, mais le monde entier et l’histoire entière : Les purges de Staline et septembre noir, Le génocide cambodgien et la shoah, le génocide arménien et la grande boucherie de 14-18, la bombe d’Hiroshima et les massacres de Nankin ; des peuples nombreux furent asservis pendant des siècles au sein des grands empires, de l’empire romain à l’empire soviétique ; de l’empire du Macina à celui du Ghana…

Le droit des dirigeants de massacrer leurs peuples n’a pas encore été aboli vraiment… et il te semble que l’Afrique en aurait plus souffert que d’autres : regarde autour de toi : je n’en suis pas sûr.

Et pourtant, dans cet environnement tragique, des hommes et des femmes continuent de vivre, d’aimer, de transmettre la vie, de rendre espoir aux autres, d’être solidaires, malgré tout…

On ne refait pas l’Histoire, on en hérite, comme de beaucoup de choses. On ne choisit pas, ni ses parents, ni la terre où l’on naît, ni la couleur de sa peau. On est seulement invité à les aimer.
L’histoire, on peut l’apprendre, l’étudier, l’écrire, se l’approprier, en tirer les leçons pour aujourd’hui et pour demain.
Mais le passé reste le passé et il te faut construire la page d’histoire que tu habites aujourd’hui, au moins pour les choses qui dépendent de toi.

Chacun donne sa réponse, à chaque génération. Des peuples qui ont donné une réponse généreuse il y a 60 ans, peuvent aujourd’hui sombrer dans le repli sur soi le plus écoeurant.
Et cela le plus souvent à travers leurs dirigeants.

Reste cette douloureuse question que tu poses et qui m’interpelle aussi. Les africains seraient ils plus soumis que les autres ?

Alors s’il en était ainsi, insurge toi, révolte toi, résiste à cette soumission, à toutes les soumissions.
Conquiers ta liberté, celle qui fera de toi un homme et dans laquelle tu rejoindras l’humanité entière, au-delà de ta négritude et moi de ma blanchitude.

Refuse la soumission aux chefs traditionnels qui veulent t’imposer une femme dont tu ne veux pas, qui veulent t’inféoder à des coutumes inacceptables aujourd’hui, ou qui continuent à croire stupidement que certains hommes valent plus que d’autres.

Refuse la soumission au modèle politique dominant, comme la « démocrature » que nous connaissons aujourd’hui, pour bâtir avec d’autres un modèle où chacun aura son mot à dire, qu’il soit noble ou pas, qu’il soit riche ou pas, qu’il soit bien portant ou pas… La « noblesse » de naissance est une escroquerie à l’humanité, la richesse ne donne pas l’intelligence, la santé et la beauté ne garantissent pas la capacité d’aimer…

Refuse la soumission au modèle économique ambiant qui veut te soumettre à la seule dictature de l’argent…

Refuse les structures religieuses qui ne te permettraient pas de développer une intériorité profonde et personnelle et qui te soumettraient seulement à des rites extérieurs.

Et je te le redis encore une fois : « Où tu es, même seul, tu peux refuser, ne pas collaborer, en agissant simplement dans une autre voie. Tu peux donner du sens là où personne ne sait quoi faire. C’est ça le courage. »

Mais tu ne seras pas seul.
D’autres t’ont déjà rejoint, ils n’ont pas pris ta place, même s’ils s’appelaient autrefois « L’Association des Amis des Noirs », même s’ils s’appellent aujourd’hui « altermondialistes ». Ne t’inquiète pas, ils ne veulent pas prendre ta place. Ils sont avec toi.
L’essentiel n’est il pas de lutter ensemble, apprendre à se battre pour vivre dans la liberté et non dans la soumission.
N’aie pas peur de la liberté : trop de tes frères en ont peur. Les différences sont une source de bonheur, la diversité, une palette pour choisir.
Même s’il te faut marcher 40 ans dans le désert, cette liberté te sera donnée au bout de ton combat.

Cherche les vraies explications à toutes choses, toujours et toujours ; interroge. Ne te soumets pas, c’est le mot clé, je crois, du combat dans lequel je te rejoins.
Toi, mon frère Frédéric, je marche avec toi, toi mon frère en humanité, en noir et blanc, en couleurs surtout pour ce monde que nous voulons sans plus aucun asservissement.


Jacques LACOUR
jacqueslacourbf@yahoo.fr

paru dans la version papier du journal "Le Pays" du 24/6/2008


mardi, 24 juin 2008

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