DROIT DANS LES YEUX
On a tous besoin des commerçants
C’est une profession très répandue. Il s’agit d’acheter pour revendre, pour assurer la distribution des marchandises et des services, pour satisfaire des clients, pour écouler des productions. Le commerçant travaille parfois beaucoup et peut ainsi ravitailler très régulièrement les populations.
Avez-vous déjà imaginé la quantité de nourriture et de marchandises qui doit entrer chaque jour dans une ville comme Ouagadougou pour que rien ne manque ? Cela illustre bien le travail des commerçants sans qui il y aurait bien vite d’énormes problèmes !
Par ce travail, le commerçant veut aussi gagner sa vie et faire prospérer son affaire. Il n’est pas un "travailleur social" chargé de distribuer des cadeaux, mais un opérateur économique incontournable. Il lui faut gagner de l’argent pour faire vivre sa famille et développer son affaire : il doit faire du "bénéfice", sinon, il va "tomber". Pour réussir, il doit être rigoureux dans sa gestion, ne pas "manger" plus que son bénéfice, et pratiquer des prix qui lui assurent une clientèle. S’il est trop cher, les gens iront ailleurs… S’il fait mal ses calculs et ne tient pas compte de toutes ses charges (y compris les taxes), ou bien s’il ne parvient pas à se faire payer, il tombera.
Lorsqu’il y a une vraie concurrence et que le client est libre de choisir entre plusieurs commerçants (sous réserve qu’ils ne se soient pas entendus entre eux pour fixer les prix), tout se passe bien et le prix qu’on obtient pour les marchandises est un prix "raisonnable" ; qui varie cependant selon la rareté ou l’abondance, qui varie aussi selon l’offre et la demande. Si le mil manque, son prix montera, car il devient rare. Si la fête approche, le prix du mouton augmente parce que tous en veulent en même temps, plus qu’à l’ordinaire.
Beaucoup de commerçants essaient de faire leur métier du mieux qu’ils peuvent et sans eux, le pays ne serait pas ravitaillé. Mais il y a des situations beaucoup moins honnêtes.
Ainsi au cours de mes 30 ans passés au Faso, j’ai vu des commerçants acheter "la récolte sur pied" (pas encore faite) à la moitié ou au tiers de son prix, à des paysans très pauvres qui n’arrivaient plus à nourrir leur famille au moment des périodes de soudure difficiles…
J’ai vu des commerçants "prêter" en hivernage un sac de mil et se faire rembourser deux sacs à la récolte.
J’ai vu des commerçants stocker du mil à la récolte pour le revendre très cher au moment de la soudure. Normal, me dit-on, c’est leur métier. Mais jusqu’à quel point ? Dans quelles limites ? Où finit le commerce, où commence la spéculation ?
J’ai vu des commerçants acheter le mil avec d’immenses tines (instrument de mesure) "élargies" et le revendre avec des tines "étroites" ou fausser les balances pour augmenter les bénéfices.
J’ai vu des commerçants qui, parce qu’ils gèrent beaucoup d’argent, font des prêts, pratiquent l’usure avec des taux annuels de 300 ou 400% ! Mais que peut faire le pauvre paysan si personne d’autre n’accepte de lui prêter de l’argent quand il est dans le besoin ?
J’ai vu des commerçants proposer aux producteurs d’acheter leur production à des prix si bas qu’ils les ont complètement découragés. Et que la production même s’est arrêtée. Ainsi, voulant gagner trop et trop vite, ils deviennent les "fossoyeurs" du développement au lieu d’en être les partenaires comme ils devraient l’être.
Dans ces cas là, on se met à imaginer des filières où les producteurs pourraient tout maîtriser : production, transformation, commerce, transport, distribution… Mais est-ce là la vraie dynamique du développement ? Il serait mieux que chacun, à sa place, fasse ce qu’il a à faire : que les producteurs produisent, que les transformateurs transforment, que les commerçants commercent, que les transporteurs transportent. Sans se tromper ni s’écraser les uns les autres dans une vraie liberté et une saine concurrence.
Mais de plus en plus, je constate que la vraie liberté et la saine concurrence sont des denrées très rares dans notre monde économique où le plus fort n’a de cesse d’écraser le plus faible et où les règles sont mal respectées (l’égalité devant l’impôt et les taxes n’est pas évidente pour tous ; les subventions et les aides ne facilitent pas non plus les choses). Et cela autant dans le commerce intérieur que celui extérieur.
L’état doit-il alors s’en mêler ?
Nous avons connu les "magasins d’Etat"… mais personne n’en a vraiment publié les bilans.
Actuellement, la "mode économique" dit que l’Etat doit intervenir le moins possible. Pourtant, s’il s’agit de préserver la vraie liberté par la lutte contre l’usure ou les pratiques commerciales déloyales, s’il s’agit de préserver la vraie concurrence en luttant contre les monopoles et les ententes illicites, alors oui, l’Etat a un grand rôle à jouer.
Mais s’il s’agit de fixer les prix, c’est un exercice beaucoup plus difficile. En fixant des prix inférieurs aux charges réelles des commerçants sur certains produits, le risque est grand de voir survenir la pénurie ou le marché noir. Mais en laissant faire la montée des prix sans réagir, les risques d’explosion sociale vont s’amplifier dans une société où l’écart trop visible entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. Et c’est tout l’enjeu des dernières mesures que le gouvernement vient de prendre. Les plus petits commerçants – au bout de la chaîne de distribution – sont-ils assez forts pour répercuter ces baisses sans tomber ?
Père Jacques Lacour- BP 332 Koudougou |
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