Quotidien Le Pays n°4101 du 22/04/2008
Droit dans les yeux
La pomme de terre se vend mal
Une fois encore, on peut constater la carence incroyable de tout le système de distribution au Burkina Faso.
Le gouvernement qui ne fait rien pour la commercialisation des produits agricoles, sauf à inaugurer des petites foires à grand renfort de 4x4 qui seraient bien utilement remplacés dans ce cas par des camions.
Qui fait si peu pour désenclaver les zones de production par des pistes correctement entretenues et qui fait tant pour désenclaver Ouaga 2000 par un échangeur aussi coûteux qu’inutile dans un pays où les gens ont faim.
Qui ne fait rien pour stopper le racket des hommes en uniforme sur les transporteurs (sauf des réunions internationales qui coûtent fort cher et n’aboutissent à rien qu’à quelques résolutions que personne ne veut appliquer)
Qui ne fait rien pour encourager les transports et les échanges internes de produits agricoles : détaxation du gas oil, subventions aux récoltes, marchés accessibles et connus où les produits seraient disponibles auprès des consommateurs… (Il a toujours été très difficile au Burkina de savoir où se procurer du riz du Sourou ou de Bagré !)
Qui croit qu’il n’a rien à faire dans ce domaine parce que le FMI et la Banque mondiale lui ont dit stupidement de se désengager du secteur (ils commencent d’ailleurs à le regretter). Quand il n’y a rien, il est évident que l’Etat doit suppléer, encourager, inciter, montrer l’exemple : à quoi sert une administration bien climatisée qui n’a plus rien à faire ?
A quoi sert un ministre qui dit sans cesse : "Ce n’est pas le travail de l’Etat" ? Il faudrait en choisir un autre qui ait au moins envie de "faire" quelque chose !
Une autre difficulté vient également des commerçants et des transporteurs du Faso, et pas seulement de ceux de Ouahigouya, comme certaines voix auraient stupidement tendance à le faire croire. A Koudougou, la pomme de terre manque et se vend 400 F le kilo! J'aimerais qu'on m'explique.... Si la filière transport n’est pas rentable, si les charges sont trop lourdes, si les taxes sont trop élevées, il faut s’asseoir et inventer des solutions. Si les transporteurs ont trop de tracasseries, qu’on le dise et qu’on cherche des solutions. Mais qu’on cesse de s‘accuser sans fin : la faute n’est pas toujours à l’autre.
Une des solutions serait évidemment que l'Etat, au lieu de se désengager de l'agriculture (comme le lui ont demandé FMI et Banque mondiale), s'y réengage, mais pas comme prédateur des filières, comme il est souvent tenté de le faire à travers des fonctionnaires payés pour leur emploi et qui se font payer une deuxième fois pour le même temps de travail pour accompagner les paysans dans le cadre de projets non étatiques.
Une des solutions serait que l’Etat prenne des initiatives pour créer dans les grandes villes du pays, des marchés, de vrais marchés, non pour y racketter les commerçants, mais pour y permettre l’approvisionnement des villes (genre Rungis à Paris). Où en effet peut-on être sûr de trouver un lieu à Ouaga où se trouvent en vente les produits de l’agriculture du pays : mil et maïs, puis tomates et haricots verts, puis pommes de terre… ? Où ?
Mais tout le monde a peur de ces lieux efficaces et transparents, car ce sont trop souvent aussi des lieux perçus comme des traquenards par les commerçants. Comment changer cela ?
Une des solutions serait que l’Etat soutienne très fort son agriculture, la production et la commercialisation -- comme n'ont cessé d'ailleurs de le faire les Etats-Unis et l’Union Européenne – Ce sont eux qui sont aux commandes du FMI et de la Banque mondiale qui n’ont jamais visé que la destruction des agricultures du Sud. Ils commencent aujourd’hui à le regretter avec la famine qui se profile car ils en sont directement responsables – avec la complicité des dirigeants africains, qui, au passage, s’en sont mis plein les poches, fêtant, à intervalles réguliers, leurs ixièmes milliards, dans un pays avant-dernier de l’Indice de développement humain.
Faites comme je vous dis, ne faites pas comme je fais… et nos dirigeants ont aveuglément suivi ces consignes qui nous conduisent aujourd’hui directement à la famine. Il faudrait chercher à savoir quels intérêts ils y ont trouvés pour eux-mêmes, car l’intérêt pour le pays aura été nul. Il est temps de se ressaisir, de tout concentrer aujourd’hui sur la politique agricole : de demander aux Japonais de surseoir à la construction du 2e échangeur de Ouagadougou, pour faire des investissements agricoles (Ils comprendront qu’on est dans l’urgence); de détaxer et même subventionner massivement les engrais pour relancer notre production nationale de céréales (et vite, pour les semailles qui viennent); de rendre les tracteurs détournés aux groupements paysans à qui ils étaient destinés; de rendre aux paysans les terres que les opérateurs économiques ont réservées dans les plaines aménagées et dont ils n’ont rien fait, sinon asservir leurs frères en esclaves agricoles.
De changer les directeurs de grands projets qui ont déjà notoirement montré leur incapacité à rendre viables et compétitives les immenses plaines aménagées comme celle du Sourou;
De définir une loi foncière qui attribue la terre à ceux qui la travaillent, sans aliénation possible.
Alors, oui, si l’Etat s’implique vraiment très fort -- et c’est son travail – peut- être la pomme de terre sera bien distribuée et chacun au Burkina pourra en manger, peut-être notre agriculture nourrira entièrement notre peuple pour le bien de tous,
peut-être notre agriculture sera le socle économique sur lequel d’autres activités enfin pourront s’épanouir, encouragées et non étouffées par un Etat qui aurait enfin pris la mesure de sa mission.
Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou)
jacqueslacourbf@yahoo.fr
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