Quotidien Le Pays n°4155 du 8/07/2008
DROIT DANS LES YEUX
Sans un secteur agricole fort, nous courrons à la ruine
Quand je lis la presse, ces jours ci, je me sens un peu découragé devant les mises en garde du Fonds monétaire international : dans les mois qui viennent, de très nombreux pays pauvres ne vont pas pouvoir faire face à leurs factures de nourriture et de pétrole et risquent de sombrer dans la violence s’ils ne parviennent pas à satisfaire les besoins en nourriture de leurs populations. Sur un fond de crise économique internationale grave, certains déjà sont nommés ou montrés du doigt : Somalie, Ethiopie, Pakistan, Zimbabwe…
Certains même parlent aujourd’hui de centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants menacés à court terme par la sous alimentation et la famine.
On oublie souvent en effet que toute crise grave et violente s’enracine d’abord (mais pas seulement) dans une crise économique, la chute des cours d’un produit essentiel des augmentations de prix insupportables,… Quand les populations craignent pour leur avenir immédiat, elles sont tentées par la violence. Et aujourd’hui, plus que jamais, les conditions économiques générales très précaires qui se dégradent de jour en jour peuvent engendrer des manifestations de violence qui nous étonnent parfois. La violence qui a surgi en Afrique du Sud n’est sans doute pas d’abord de la xénophobie, mais la violence des pauvres qui se sentent menacés dans leur survie.
En désorganisant la production agricole, Robert Mugabe a précipité son pays dans la violence et poussé les populations à l’exode. Autrefois grenier à blé de l’Afrique australe, le Zimbabwe ne nourrit plus ses enfants qui s’enfuient à l’étranger; plus de 3 millions de personnes ont quitté le pays ces dix dernières années.
Et ces réfugiés économiques sont évidemment perçus comme une menace pour les plus pauvres chez qui ils arrivent.
Mais ce qu’il est important de voir aussi, c’est que la ruine du secteur agricole a entraîné pour le Zimbabwe la ruine de toute son économie, je dis bien "toute" ! y compris les services et la monnaie…
Sans un secteur agricole fort dans le monde d’aujourd’hui un pays court à la ruine. En subventionnant leurs agriculteurs et leur production agricole, les Etats-Unis, l’Europe et le Japon ont garanti leur souveraineté alimentaire. Ils ont favorisé une agriculture productiviste très protégée qui a porté préjudice à beaucoup d’autres nations qui n’ont pas protégé et développé leur secteur agricole.
Du coup, le choc actuel des prix, effectif là bas aussi n’affecte pas leurs économies au même point que dans les pays pauvres qui n’ont pas mobilisé les moyens de soutenir leur agriculture parce qu’ils ont suivi les conseils de la Banque Mondiale et du Fonds monétaire international qui reconnaissent aujourd’hui leur avoir fait perdre 20 ans sur le chemin du développement en les encourageant à abandonner leurs agricultures.
Au Burkina aujourd’hui, les dirigeants semblent commencer à prendre la mesure du retard que nous avons accumulé en ne soutenant pas l’agriculture. Production céréalière de maïs, de mil et de sorgho production des plaines de riz production maraîchère de contre saison et commercialisation transformation de tous ces produits, voilà ce qu’il faut encourager autant et plus que le coton ou le jatropha. Production du haricot et sa conservation en bidons hermétiques de 20 litres voilà qui nous protègera de la famine. En réhabilitant et subventionnant éventuellement la réserve familiale, on pourra reconstituer des stocks nationaux qui nous tiendrons à l’abri de la disette et de l’aide alimentaire internationale qui vient souvent à contre temps. Achat à la production et stockage… Voilà ce qui sortira le Burkina du sous développement.
Si les greniers sont pleins, si les récoltes sont bonnes, le spectre de la violence s’éloignera. C’est l’un des éléments essentiels du prix de la paix.
Sans oublier bien sûr la formation et l’éducation pour chasser l’ignorance et le fatalisme: un pays où il y a 70% d’analphabètes dans les campagnes ne peut pas décoller économiquement jamais !
J’ai été émerveillé d’entendre que, pour la première fois dans son histoire, le Burkina permet aux paysans d’acquérir de l’engrais pour les cultures vivrières au même prix que pour la culture du coton. C’est un premier pas…
"Pourvu que ça dure !"
Père Jacques Lacour (BP 332 Koudougou) 3 juillet 2008
jacqueslacourbf@yahoo.fr
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