Droit dans les yeux :
Faisons confiance à nos paysans
Depuis des années, un débat resurgit périodiquement : faut-il confier l’agriculture aux seuls paysans ou à de nouveaux riches ou des investisseurs, attirés par les profits d’une agriculture mise au service de leurs intérêts financiers : l’ « agrobusiness » ? Nos hommes politiques semblent tentés aujourd’hui par cette deuxième solution, mais je ne sais pas s’ils mesurent bien les conséquences de tels choix ! Récemment encore dans le Pays n° 3824 du 7-3-07, Madame DAMIBA, notre ambassadrice à Vienne, concluait un entretien en disant : « Nous ne devons plus laisser notre agriculture uniquement aux mains des paysans. Nous devons nous acheminer vers l’agrobusiness… »
Les faits eux-mêmes ne nous invitent-ils pas à faire confiance aux paysans capables de produire, en quantité et en qualité, tout produit agricole suffisamment rémunérateur pour les faire vivre, eux et leur famille ?
Le coton n’en est-il pas le premier exemple ? Cette culture exige un énorme travail de main d’œuvre; le résultat est que la qualité de notre fibre est très belle (cueillie entièrement à la main !) Le drame est que les prix ne cessent de baisser ; tant que le prix restera rémunérateur pour les paysans, et qu’ils seront effectivement payés, ils continueront de produire en quantité et en qualité, mais jusqu’à quand ?
Dans les années 80, le « haricot vert du Burkina » était un produit hautement apprécié en France où il pouvait être consommé dès Noël. La filière a fonctionné pendant des années, mais un jour, la défaillance de la gestion administrative, des transports intérieurs, de la commercialisation à l’international a eu raison de cette production de qualité de nos paysans. Les paysans n’ont plus été payés (j’en ai été le témoin puisque, dans ces années-là, je servais dans la vallée du Sourou), ils ont dû abandonner la culture du haricot vert qu’ils maîtrisaient alors parfaitement. Si la production a cessé, ce n’est pas la faute aux paysans !
Plus récemment, dans l’Ouest du pays, commençait à naître une filière sésame, d’un sésame de très haute qualité, très recherché. La production a bien démarré, la qualité y était (les groupements y veillaient !). Mais un cartel de commerçants, qui voulait imposer des prix très bas (très proches des coûts de production), a eu raison de cette production qui pourtant, en raison de sa qualité, aurait trouvé sa place sur le marché international. Rémunérez le paysan au juste prix de son travail, il produira, et un produit de bonne qualité.
Et que dire du riz de nos plaines aménagées qui peine à se vendre sur le marché local… quand nos importateurs (avec la bénédiction de nos politiques) inondent le marché du « riz-poubelle » de Thaïlande ou d’ailleurs (5 ou 6 ans d’âge, ça aide à gonfler !) Les paysans pourraient produire davantage d’un riz de bonne qualité, mais nos dirigeants préfèrent nourrir les villes à bas prix avec du vieux riz importé plutôt que d’encourager cette filière prometteuse : les villes sont plus menaçantes pour le pouvoir des hommes politiques que les campagnes.
La grande question aujourd’hui, c’est que l’on demande aux paysans de produire, de gérer, de commercialiser, de transformer, de recouvrer les factures, mais ce n’est pas leur travail ! Le commerçant n’est pas forcément paysan, ni le paysan commerçant : à chacun son travail, à chacun sa compétence, à chacun sa place dans la filière !
Les paysans n’ont jamais failli ; au contraire, je suis témoin que la production agricole a largement accompagné la croissance démographique : dans les années 70, de grandes famines ont décimé des régions entières de notre pays. Aujourd’hui, avec une population presque triplée, la production agricole a suivi, le spectre de la famine s’éloigne. Merci les paysans !
Ceux qui nous proposent de confier l’agriculture à l’agrobusiness veulent nous embarquer sur une voie dangereuse et aléatoire. Prendre le risque de confier nos terroirs à des hommes uniquement intéressés par le profit risque de nous conduire à la catastrophe en termes humains et écologiques. Les savoirs et savoir-faire de nos paysans ont beaucoup évolué ces dernières années. Nos paysans connaissent (d’un savoir empirique, certes) la fragilité de l’écosystème qui leur a été confié depuis des siècles. Faisons-leur confiance pour l’avenir ! Et attachons-nous enfin à quelques vrais problèmes :
D’abord les divers choix contradictoires de nos dirigeants politiques par rapport à l’agriculture : lorsqu’ils signent l’ECOWAP et s’engagent à consacrer 10% de leur budget à l’agriculture, et qu’en même temps ils signent le TEC qui, par un commerce inégal, introduit une concurrence déloyale sur les produits agricoles, quelle dynamique créent-ils pour notre agriculture ? Dommage que l’agriculture ne paraisse pas aussi prioritaire que les projets ZACA et OUAGA 2000.
Depuis des années, l’agriculture familiale évolue, se modernise et attend des appuis. Pourquoi ces appuis sont-ils détournés au profit d’une minorité de privilégiés, comme dans l’affaire des tracteurs indiens (dénoncée à la « journée du paysan ») au lieu d’être mis à la disposition des groupements et des coopératives dans l’intérêt du plus grand nombre ?
Pourquoi, trop souvent, de nombreux fonctionnaires de l’agriculture attendent-ils de se faire rémunérer par des projets pour leurs interventions, plutôt que de travailler pour l’ensemble des paysans avec le salaire que leur donne déjà l’Etat ?
Pourquoi les filières administratives et commerciales se comportent-elles comme des prédatrices vis-à-vis des paysans et des productions agricoles au lieu d’être de vrais partenaires se sentant embarqués dans la même aventure du progrès agricole et économique du pays ?
Je pourrais confier ma voiture à un chauffeur, je sais qu’il me mènera à destination. Je ne la confierais pas à quelqu’un qui rêve de bolides et de vitesse : il risquerait de nous mener droit dans le mur.
Le Burkina doit continuer à faire confiance à ses paysans. Il faut continuer à les former et à les appuyer. Parce qu’ils ont toujours été capables, dans un milieu pourtant hostile, de produire en quantité et en qualité, ils nous mèneront très certainement à la souveraineté alimentaire.
Koudougou, le 18-3-2007
Père Jacques Lacour
jacqueslacourbf@yahoo.fr
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