Me Prosper Farama :
"Le Burkina pue la misère de toutes parts"
mardi 16 octobre 2007.
Me Prosper Farama, avocat à la Cour, dépeint d’une plume trempée dans du vitriol les 20 ans de pouvoir Compaoré. Au finish, son constat est que "s’assurer un repos complet, boire de l’eau potable, constituent pour des millions de Burkinabè un luxe.
Il y a 20 ans, semble-t-il, à "l’insu de notre plein gré" (pour emprunter une expression bien chère à un ami), nous sommes rentrés de plain-pied dans une renaissance démocratique, dont on nous a bruyamment rappelé que nous jouissons depuis, (quelquefois même sans le savoir) des bienfaits.
Vingt ans, c’est l’âge d’or qui se fête. Et le CDP, le président Blaise Compaoré et ses amis ont décidé de le fêter. Et tambours battants, des exégètes nous ont doctement expliqué qu’il nous était interdit de faire une confusion entre la commémoration de leur renaissance démocratique et celle de l’avènement de Blaise Compaoré au pouvoir. Mais tout de même, nous sommes autorisés à retenir que sans Blaise Compaoré et ses camarades du 15 octobre 1987, il n’y aurait jamais eu de renaissance démocratique. L’Etat de droit et la démocratie ne seraient même pas nés de la Constitution du 11 juin 1991, mais bien de ce putsch violent de ce jeudi noir du 15 octobre 1987.
Ainsi, après nous avoir rectifié les mentalités, s’être largement rassemblés en vue d’assurer leur développement solidaire, aujourd’hui, afin de nous permettre d’admirer leur progrès continu, ils nous invitent à fêter le 20e anniversaire de l’accession brutale au pouvoir de Blaise Compaoré ... pardon, de leur renaissance démocratique. D’ailleurs, cette guéguerre sur la sémantique et la terminologie nous paraît absolument inutile et sans intérêt. Qu’il s’agisse de la commémoration de 20 ans de règne de Blaise Compaoré ou de 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré, quelle différence ? Le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré accédait au pouvoir. Le 15 octobre 2007, Blaise Compaoré est toujours au pouvoir. C’est la constante. Et la question fondamentale qui vaille la peine d’être posée, à notre humble avis, c’est de savoir ce que nous pouvons retenir des 20 ans de règne du président Blaise Compaoré.
Vingt ans de liberté, de démocratie et de développement, paraît-il ! Mais que de contradictions !
Que le CDP et ses amis décident de dater la naissance ou la renaissance de sa démocratie à partir d’un événement aussi funeste que la tragédie du 15 octobre 1987, peut paraître à certains égards indécent, mais c’est leur droit. Nous pensons.
En revanche, ce qui nous paraît insaisissable, dans ce choix, c’est toute la contradiction qui va avec.
Tenez. La mort de Sankara, aux dires de son frère et ami, n’a jamais été voulue par lui, il n’en était même pas informé.
Répondant à ce sujet au journal Jeune Afrique dans son édition du 4 novembre 1987, Blaise Compaoré déclare ceci : "Lorsque je suis arrivé au Conseil de l’Entente après la fusillade et que j’ai vu le corps de Thomas à terre, j’ai failli avoir une réaction très violente contre ses auteurs". Pourtant, dans la même soirée du 15 octobre 1987, les épithètes à l’endroit de Thomas Sankara sont sans réserve : "traître à la révolution", "renégat", "autocrate..." Sankara apparaissait clairement comme un paria aux yeux des auteurs de la renaissance.
Et curieusement, quelques années plus tard, le CDP propose d’élever le renégat, le traître, l’autocrate au rang de héros national. Comment un traître peut-il être un héros ? Quand on sait que depuis la mythologie grecque, un héros, c’est simplement un demi-dieu ; aujourd’hui encore, pour nos contemporains, un héros est un homme d’exception qui montre de la grandeur d’âme, de la noblesse, qui a pu se rendre célèbre par son succès dans quelque matière. Un héros, c’est simplement un grand homme. Alors, comment un traître peut-il être un héros ?
Et voilà qu’après avoir proposé d’élever Thomas Sankara au rang de héros national, le CDP nous ré-explique aujourd’hui, que pour les besoins de la renaissance du Burkina, il a fallu éliminer Thomas Sankara, seul obstacle à une résurrection démocratique. Quel héros et quelles contradictions !
Mais quand on se souvient que les tenants de cette renaissance sont partis d’une révolution de gauche marxiste-léniniste pour déboucher sur un capitalisme sauvage, peut-on encore s’étonner de leurs contradictions ?
Nous avions à peine douze ans quand Blaise Compaoré arrivait au pouvoir
Quand en 1983, le capitaine Blaise Compaoré entrait avec le CNR dans le sérail du pouvoir, les enfants de notre génération avaient à peine 12 ans. Aujourd’hui, je suis assez mûr pour opiner sur la renaissance démocratique que les siens prônent.
Dans 8 ans, en 2015, à la fin supposée du dernier mandat de Blaise Compaoré, nous aurons près de 45 ans, et nos enfants seront aux portes de l’université, et Blaise Compaoré aura accumulé près de 30 ans de pouvoir. Et c’est cela leur renaissance démocratique !
Non. L’un des socles fondamentaux de la démocratie, c’est le respect du principe de l’alternance qui demeure la seule alternative possible en démocratie. Quand un groupe d’hommes s’empare et "confisque" le pouvoir, cela ne saurait être qualifié de démocratie. D’ailleurs, dans ce 21e siècle, cette curiosité démocratique, le Burkina Faso la partage avec quelques rarissimes autres démocraties de son genre, tels le Zimbabwe, le Gabon, le Togo ... et nous en oublions certainement.
Nous n’avons aucune traître notion de la science politique, mais tout de même ! Quand un pouvoir est géré par un groupe de personnes dont le dénominateur commun semble être la fortune et peut-être autre chose, cela ne s’appelle pas une démocratie ; cela ressemble plutôt à une oligarchie à forte tendance ploutocratique.
Quelle démocratie !
Une démocratie, une vraie, et il faut en convenir avec le CDP, implique un respect scrupuleux des libertés et droits fondamentaux dont le plus important et le premier est sans aucun doute le droit à la vie. Et les démocrates de la renaissance jugent qu’ils nous garantissent depuis 20 ans ces libertés grâce auxquelles nous pouvons aujourd’hui nous exprimer librement. Que Dieu leur en soit reconnaissant ! Mais ce peuple se souvient que cette renaissance a vu le jour le 15 octobre 1987 par l’assassinat de 13 Burkinabè ; il n’oublie pas non plus qu’en pleine renaissance démocratique, un matin de mai 1990, les militaires de la renaissance ont fait irruption sur le campus universitaire de Ouagadougou, où ils ont traqué, bastonné et enlevé des étudiants : Dabo Boukary, alors étudiant en 7e année de médecine, et le professeur Guillaume Séssouma, enlevés, n’ont jamais réapparu. Et pas de corps, pas de tombes.
Il nous revient aussi douloureusement à l’esprit qu’un soir de 1991, Tall Moctar a été littéralement fusillé tandis que le professeur Oumarou Clément Ouédraogo était déchiqueté par une grenade offensive ; ce peuple n’oublie pas non plus qu’en 1998, David Ouédraogo, alors chauffeur de François Compaoré, a perdu la vie après avoir été rôti avec deux de ses compagnons par des gardes du corps de Blaise Compaoré ; personne n’oubliera dans ce pays que Norbert Zongo, un après-midi du 13 décembre 1998, est tombé dans une embuscade avec quatre compagnons d’infortune, assassinés et brûlés. Ils feignent d’oublier, ces démocrates de la renaissance, qu’à Boussé, Garango, des enfants de cette patrie sont tombés sous des balles assassines. Leur seul tort : avoir pensé que dans une démocratie naissante ou renaissante, ils avaient le droit élémentaire de manifester.
La liberté, c’est aussi la justice, seule garante de cette merveille divine ; or, quelle justice nous offrent ces démocrates de la renaissance ? Nul besoin d’épiloguer. Le constat s’impose : pendant qu’aucun des célèbres dossiers "pendants" n’a trouvé un dénouement sérieux, les prisons de la république sont peuplées de sans culottes ; et avec la renaissance, on a même découvert un triste concept propre à la justice burkinabè : les juges acquis. Depuis la renaissance, la Justice ne se rendrait plus au nom du peuple mais au nom du régent, puisque les juges lui sont acquis.
Et c’est cela leur renaissance démocratique ! Et ils pensent qu’ils nous ont apporté la liberté comme Jésus apporta aux chrétiens la parole divine ! Ils ont le droit de penser, car c’est au moins la seule liberté qu’on ne peut arracher à quiconque sur cette terre. Mais ces libertés minimales dont jouit le peuple digne de ce pays, personne ne les lui a offertes. C’est au prix d’énormes engagements et de sacrifices incommensurables de tous ces martyrs connus et anonymes, combattants de la liberté tombés sur le champ d’honneur, que ce peuple a acquis le droit de respirer l’air libre de sa patrie ; d’ailleurs, ils devraient le savoir et ils le savent : aucune liberté sur cette terre ne se donne. Elle se conquiert.
Oui, le Burkina se développe. Mais pour qui ?
Aussi bête que cela puisse paraître, les seuls critères d’appréciation de l’action des autorités politiques par les peuples, c’est leur capacité à apporter des solutions concrètes aux problèmes du moment auxquels ils sont confrontés.
Même le maréchal Mobutu l’avait compris. Il affirmait lors d’une session ordinaire du comité central de son parti que "la compétence des dirigeants politiques des années à venir se [mesurerait] par leur capacité à nourrir leur peuple". Mais ce qu’il avait oublié, comme tant d’autres, c’est qu’on ne développe pas une nation ni par des slogans, ni par des formules magiques.
C’est aussi ce que semblent oublier les démocrates de la renaissance quand ils proclament le développement du Burkina depuis leur renaissance. A certains égards, ils ont peut-être raison. C’est connu, on ne réfléchit pas de la même façon dans un château et dans une chaumière.
Le Burkina Faso progresse, se développe. Certainement ; mais tout dépend de quel côté du Burkina on se trouve.
Si l’on fait partie de cette élite que Norbert Zongo avait baptisée "Le Burkina des affaires qui gère les affaires du Burkina" ; si l’on compte parmi ce 1 pour cent des Burkinabè qui détiennent cinquante pour cent des richesses de ce pays ; si l’on fait partie de ceux pour qui la politique est devenue un sésame qui ouvre les portes de l’opulence, des privilèges, de l’arrogance et, quelquefois même, de l’impunité, naturellement le Burkina Faso se développe. Mais n’oublions pas. Ce pays compte près de 12 millions d’âmes vivantes, et le Faso, ce n’est pas Ouaga 2000 !
Parce que pendant que les uns s’offrent le luxe d’aller soigner leurs rhumes et toux à l’extérieur dans des centres médicaux huppés à coups de millions, souvent aux frais de la république, les autres sont, chaque année, décimés par des épidémies récurrentes de méningite, de paludisme ...
Une démocratie n’en sera jamais une tant qu’y persistera un si haut degré de misère parmi les populations ; or ce peuple ne vit pas. Il vivote à la limite de la décence humaine. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir. Le Burkina pue la misère de toutes parts, n’en déplaise à tous ceux qui, du haut de leurs tours d’ivoire, se bouchant le nez et fermant les yeux, ont déjà oublié, ou feignent de ne pas savoir qu’en ce plein 21e siècle, s’assurer un repas complet, boire de l’eau potable, constituent pour des millions de Burkinabè, un luxe, un privilège.
En vérité, les rares domaines dans lesquels le Burkina a connu incontestablement un développement prodigieux, c’est la corruption, le favoritisme, la fraude, l’enrichissement illicite et la pauvreté. Le dernier rapport de Transparency international sur la corruption nous en donne une preuve, si besoin en est ; notre chère patrie est passée de la 69e place à la 105e des pays les plus corrompus au monde. Quelle admirable progression ! D’ailleurs, cette réalité, personne ne semble la contester, même pas le député Achille Tapsoba du CDP qui, répondant à une question posée par L’Observateur Paalga en date du 5 octobre 2007 relativement à ces fléaux, nous donne cette fabuleuse leçon d’économie politique : "Ce sont des phénomènes qui existent dans les sociétés qui fonctionnent avec le système capitaliste, lequel est fondé sur la concurrence, le profit et sur l’exploitation des potentialités et des capacités. C’est clair, c’est net." Et c’est sans commentaire.
La démocratie, ce n’est pas un vain mot. Elle ne se décrète pas, elle se vit au quotidien. Et à ce propos, Winston Churchill définissait l’Etat de droit comme étant "celui où tous les citoyens sont sûrs, en entendant un coup de sonnette au petit matin, qu’il s’agit du laitier".
Espérons qu’il en est ainsi pour tous les Burkinabè depuis la renaissance !
Maître Prosper Farama
Avocat à la Cour
Le Pays
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