Bien cher Nicolas,
Je suis évidemment assez époustouflé que tu aies pu m’adresser une lettre comme candidat à la présidentielle ; en effet, il y a quelques mois, je t’avais écrit – une lettre ouverte, il est vrai – mais tu n’y avais pas répondu.
Puisque tu m’interpelles dans une lettre personnelle, il faut bien que je te réponde pour t’expliquer pourquoi il me sera absolument impossible de voter pour toi !
Concernant l’immigration d’abord, question qui nécessite une réflexion plus grande que l’agitation fébrile que tu manifestes… Tes prises de position, tes déclarations et ton zèle policier risquent seulement de faire haïr un peu plus la France ; et je suis bien obligé ici, pour éviter le naufrage, de dissocier la France, celle que le monde aimait, de ses dirigeants qui bafouent ses traditions de compassion, d’accueil et d’ouverture … Arrêter les sans papiers à la sortie des écoles ou des restaurants du cœur, quelle noblesse ! D’ailleurs tes policiers n’en sont pas fiers et prédisent l’explosion des banlieues le 6 mai à 20h si par malheur tu venais à être élu.
A ce propos, je te considère directement responsable de l’assassinat de Elanchelvan Rajendram que tu as renvoyé au Sri Lanka et qui y a été assassiné par l’armée sous les yeux de sa femme… et de tous les autres qui sont en prison, torturés ou assassinés parce que tu les as renvoyés chez eux dans des conditions épouvantables… J’ai l’impression que tu ne comprends pas grand’chose aux détresses du monde, aux malheurs des peuples que frappent la guerre, la famine ou la dictature ! Peut-être n’as-tu pas assez voyagé ?
Mais pourquoi donc tous ces pauvres assiègent-ils notre bastion de richesse ? Comme moi, tu appartiens à une génération où l’on a appris à haïr les murs construits par les dictatures, et tout particulièrement ceux qui ont maintenu dans l’enfermement tant de pays qui ont rejoint aujourd’hui notre maison commune de l’Europe. Alors pourquoi veux-tu en construire de nouveaux, à l’image de ce qui se fait entre les Etats-Unis et le Mexique ?
Aux Français partis aux quatre coins du monde, tu veux, dis-tu, donner l’envie de revenir… Aux quatre coins du monde présents en France, tu veux donner l’envie de partir (et tu y travailles activement)… Quelle ouverture, quelle magnanimité ! Vivent le métissage, les rencontres, les voyages, les échanges… sauf pour toi ! Chacun chez soi, n’est-ce pas ?
Dans ta lettre, tu me parles de ma sécurité… Tu fais réellement une fixation ! Un peu paranoïaque. Rassures-toi, nous essayons d’être prudents…
Je crois bien que si insécurité il y a, elle ne tient, ici comme en France, qu’à l’immense décalage entre les riches et les pauvres et ce décalage ne pourra durer toujours surtout maintenant que les images inondent la planète.
D’ailleurs je m’approche assez peu de nos consulats, trop souvent lieu d’attente interminable et d’humiliation pour les populations avec qui je vis … (Il faut dire que je n'y suis pas beaucoup invité!)
Si tu te trouvais du côté de la majorité des pauvres de notre planète, alors, sûr, j’allais voter pour toi, mais ça ne semble pas être le cas !
Tu es beaucoup trop l’homme des riches et des puissants, des multinationales gangrenées par la corruption, du mirage américain qui consacre l’avènement de quelques fortunes sur le destin malheureux de millions de travailleurs pauvres. (Travaillez plus, travaillez plus… sinon les riches ne pourront pas s’enrichir)
Tu veux bâtir un Etat policier, cette « France d’après », dont nous avons tous vu la photo sur le net (si…si… ça vient jusque Koudougou !). Je n’en veux pas.
Ton ambition personnelle maladive et ta soif de pouvoir me font peur !
« Nicolas est gentil, mais peut être brutal dans son expression… », dit Simone Veil et, pour certains sujets, elle dit même ne plus te comprendre !
Ta politique économique, c’est beaucoup de cadeaux aux plus riches… baisse des impôts (je ne suis pas concerné, trop pauvre pour en payer), droits de succession (je ne suis pas concerné. Une vie de travail transmise à une famille nombreuse n’est déjà pas taxable) et il en va de même pour tant d’autres mesures !
Tu parles de la mondialisation des échanges et de l’économie… Cet immense système néo-libéral que tu as mis en place depuis des années au seul profit des multinationales et des actionnaires et aux dépends des salariés et des Etats qui ne peuvent plus jouer le rôle moteur de la solidarité… Ce système qui marginalise des centaines de millions de pauvres dont tu ne sais plus que faire sinon construire des murs pour t’en défendre… Ce système dont tu nous dis qu’il n’en est pas d’autre… Ce système, je ne l’approuve pas !
Un jeune qui a fait une « c… » n’est pas une racaille et nul n’a le droit de l’enfermer dans un échec. (Mais les récidivistes que la police met en place comme indicateurs, oui, ceux là, tu peux les reprendre). Et le karcher, s’il sert à ravaler les façades en douceur, n’a jamais guéri les pierres de leurs maladies !
L’intérêt de la France et des Français te préoccupait bien peu quand tu as décrété que le nuage radioactif de Tchernobyl avait été stoppé par nos douaniers… La transparence ne t’étouffe pas quand tu oublies indéfiniment de publier ton patrimoine… Et que dire de tes revirements sur GDF ?
Mais ce qui m’a le plus blessé dans tes propos, c’est quand tu as dit que la France n’a pas besoin de l’Afrique… Quel mépris, quelle négation de l’histoire, quel reniement, quel mensonge. Ne sais-tu pas que notre minerai de fer vient de Mauritanie, notre cacao de Côte d’Ivoire, notre pétrole du Gabon (l’affaire Elf, ça te dit rien ?), notre uranium du Niger, et tant d’autres choses… du bois précieux aux diamants… et que les tiens y soutiennent des dictatures qui arrangent nos affairistes et nos entrepreneurs…
L’Afrique a besoin de la France
La France a besoin de l’Afrique
L’Europe a besoin de l’Afrique
L’Afrique a besoin de l’Europe
Nous avons besoin les uns des autres
(Apprends cela par cœur comme une table de multiplication à défaut d’y croire ; tu verras, ça te sera utile un jour.)
Tu me veux « sentinelle » de la France, de ta France policière.
Non, je ne suis pas assez militaire pour cela. Quel vocabulaire guerrier et stupide.
Je ne veux pas être ici le visage de cette France que tu prétends incarner et dont j’ai honte.
Ici, dans ce Burkina qui m’a accueilli pour la première fois il y a 35 ans, j’essaie d’être un veilleur, un éveilleur.
Et quand j’y dis que je suis Français, c’est de cette France des Droits de l’Homme que je veux témoigner, cette France généreuse et solidaire, européenne, celle qui pourra entraîner le monde vers le haut, ensemble, car toute l’humanité est liée aujourd’hui en un seul destin et ce n’est que tous ensemble que nous pourrons relever les défis de notre époque.
Non, Nicolas, je ne voterai pas pour toi
Avec mes plus profonds regrets
Jacques
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